Alors que de nombreux analystes financiers alertent sur une probable crise financière en provenance des Etats-Unis, à l’horizon 2020, qui serait plus catastrophique encore que celle de 2008 (voire la note de Jean-Luc Baslé) ; alors que dans la perspective d’un krach obligataire nombre de pays se délestent de leurs bons du Trésor US, la France a acheté, entre avril 2017 et août 2018, plus de 51 milliards de dollars de dettes américaines...
Depuis janvier 2018, la dette publique
US augmente à un rythme exponentiel de 3 milliards par jour et se situe
aujourd'hui à 21 700 milliards de dollars. A la fin de l’année, les
Etats-Unis devraient atteindre les 22 000 milliards soit une dette
souveraine de 107 à 108% du PIB. C’est la raison pour laquelle de nombreux économistes tirent la sonnette d’alarme
(1). Contre vents et marées, les agences de notation américaines
(Fitch, et Moody’s) maintiennent la meilleure note, AAA, aux bons du
Trésor américain, à l'exception de S&P qui l'a abaissé à AA+ en août
2011. L'agence de notation financière chinoise, DAGONG, ne les suit pas
et en janvier 2018, elle a attribué un BBB+, avec perspectives négatives, à la dette souveraine US,
ce qui la situe désormais juste un cran au-dessus des emprunts
considérés comme spéculatifs. Pour justifier ce recul, DAGONG met en
avant le risque croissant d’insolvabilité et les faiblesses du mode de
développement économique des Etats-Unis fondés sur la dette (2). Elle
met également en garde les investisseurs et les Etats qui pourraient
être tentés par l'achat de cette dette susceptible de se transformer, à
court ou moyen terme, en obligations à haut risque.
Il ne serait pas incongru de penser que
l’agence chinoise n’est pas plus objective que ses consœurs
occidentales. Il ne serait pas non plus stupide d’imaginer que la Russie
ne s’est pas délestée de presque toutes ses obligations US soit 91
milliards de dollars, il ne lui en reste plus que 14, seulement par
prudence et bonne gestion de père de famille. Cependant, le fait que
d’autres pays, dont certains sont des alliés fidèles des Etats-Unis,
agissent de la même manière leur donne raison. En effet, entre août 2017
et août 2018, le Japon a réduit son exposition de 73 milliards de
dollars ; la Turquie de plus de 40, la Chine de 36.5, Taïwan de 17 et la
Hollande de 10 milliards de dollars. Depuis janvier 2018, la Suisse
s’est allégée de 21 milliards de dollars, depuis mars l’Allemagne et
l’Inde se sont délestées respectivement de 13 et de 17 milliards de
dollars (3). Même les Îles Caïmans, paradis fiscal réputé qui gèrent les
fortunes de gens très informés se sont désengagés de 45 milliards de
dollars sur une seule année.... C’est donc une lame de fond qui
correspond à des inquiétudes légitimes.
Le village gaulois
Il reste néanmoins quelques
récalcitrants : le Brésil de Michel Temer, le Royaume-Uni, l’Arabie
Saoudite et la France. En avril 2017, deux mois avant l'arrivée au
pouvoir du président actuel, la France détenait 66,9 milliards de
dollars d’obligations souveraines US. Aujourd'hui, le département du
Trésor américain indique que la France en détient 118,4 milliards de
dollars, soit une augmentation de 51,5 milliards en un peu plus d'un an
(+ 77%)(4). Mieux, depuis mars 2018, l'exposition de Paris à la dette
américaine est passée de 80 milliards de dollars à 118 milliards de
dollars soit une hausse de 47,5 % en 6 mois, elle fait plus que tous les
autres récalcitrants (5).
Pure amitié atlantiste ?
Cette évolution, pour le moins étrange
interpelle : pourquoi la France dont la dette a déjà dépassé les 100% du
PIB s’encombre-t-elle de toujours plus d’actifs à risque ? Autre
question légitime : quelles sont les contreparties ? Il semble que cela
soit totalement désintéressé…
Sur le plan de la politique étrangère, Washington continue de dire non aux incessantes demandes de Paris
de placer le G5 Sahel sous le chapitre 7 des Nations Unies, ce qui
permettrait aux militaires français de sortir du bourbier sahélien et
d’économiser un milliard d’euros par an (6).
Et si la diplomatie française a enfin pu
opérer un timide retour au Moyen-Orient, ce n’est pas grâce à son allié
américain mais à la Russie qui a invité le président français au dernier sommet d’Istanbul (8).
Sur le plan économique, les sanctions
américaines contre l’Iran ont durement pénalisé les entreprises
françaises comme Total, Peugeot etc. Par ailleurs, les menaces de
l’extraterritorialité du droit américain, pèsent toujours sur les
sociétés hexagonales. Après Alstom, la justice américaine pourrait
infliger des amendes à plusieurs d’entre-elles, dont une peine record à
Areva, 24 milliards de dollars.
Opacité
Sauf s’il s’agit d’obscures raisons qui
échappent aux auteurs de ces lignes, rien ne justifie donc un tel niveau
d’exposition à la dette souveraine US. Rien ne justifie non plus, le
silence des médias et des parlementaires. Le gouvernement qui s’évertue à
vanter les nécessités de l’austérité aura des difficultés à expliquer
aux Français qui grondent, ces placements de bien piètres épargnants.
51,5 milliards de dollars c’est une somme et à n’en pas douter,
chaque citoyen aura, bien sûr, son idée sur les raisons qui ont poussé
leurs dirigeants à exposer l’épargne des Français à la dette US et sur
une meilleure affectation de l’argent public.
Leslie Varenne
Général Dominique Delawarde
Jean-Luc Baslé ancien directeur de Citigroup New-York
Général Dominique Delawarde
Jean-Luc Baslé ancien directeur de Citigroup New-York
(1) https://www.businessbourse.com/2018/07/16/lamerique-se-dirige-droit-vers-la-plus-grande-crise-dendettement-de-lhistoire/
(2) http://en.dagongcredit.com/index.php?m=content&c=index&a=show&catid=88&id=4937
(3) http://ticdata.treasury.gov/Publish/mfh.txt
(4) Le Brésil a acheté 44.2 milliards de dollars d’obligations US, le Royaume-Uni 47.6, l’Arabie Saoudite 37.5, la Belgique fait aussi partie des récalcitrants, mais Bruxelles, qui héberge l'Union européenne à un statut à part, elle a néanmoins racheté pour 58.3 milliards de dollars.
(5) http://ticdata.treasury.gov/Publish/mfh.txt(6) https://www.iveris.eu/list/notes_danalyse/371-le_sahel_estil_une_zone_de_nondroit__(7) https://www.iveris.eu/list/entretiens/362-la_libye_victime_des_ingerences_exterieures_
(8) http://www.lefigaro.fr/international/2018/10/27/01003-20181027ARTFIG00136-syrie-le-sommet-d-istanbul-appelle-a-un-cessez-le-feu-stable-et-durable-a-idlib.php
Source : https://www.iveris.eu
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