Additifs, pesticides... Le vin que vous buvez ne contient pas que du raisin


Jusqu'à quinze résidus de pesticides différents ont été retrouvés dans certaines bouteilles de bordeaux, selon les conclusions d'un laboratoire que nous avons mandaté.

"Des doses de sulfites potentiellement problématiques"

Premier constat, sans surprise : toutes nos bouteilles contiennent du dioxyde de soufre, parfois en grande quantité. Ce composé, plus connu sous le nom de sulfites, permet d'empêcher l'oxydation des vins et le développement de bactéries. Sans lui, la conservation du vin est très compliquée. Sa présence est indiquée sur l'étiquette, au-delà d'un certain seuil. "C'est tout sauf négligeable, explique Christophe Lavelle, biophysicien, chercheur au CNRS et spécialiste de l'alimentation, à franceinfo. Une consommation élevée de soufre peut être un problème. Mais ses effets sont totalement liés à l'individu, ça va du mal de crâne aux réactions allergiques."

Dans le vin, on atteint des doses de sulfites potentiellement problématiques pour des consommateurs.Christophe Lavelle, chercheur au CNRSà franceinfo

Tous les producteurs des dix bouteilles testées s'accordent sur la nécessité de ces sulfites, à des niveaux différents. "Faire du zéro soufre, ce n'est pas possible, tranche Thibault Despagne, vigneron dans l'Entre-deux-Mers. En revanche, baisser sa quantité, c'est très intéressant. On réfléchit justement à la façon de la diminuer encore." Son vin blanc "Biface" de 2016 en contient un peu plus de 100 mg par litre. Une dose certes importante, mais bien au-dessous de la limite autorisée pour ce type de vin (250 mg/L).

Des doses de 10 à... 202 mg/L

Même les producteurs de "vins naturels" défendent une utilisation raisonnable de ces sulfites. "Je rajoute parfois un peu de soufre pour qu'un consommateur qui paye ma bouteille 15 euros ne se retrouve pas avec un truc imbuvable dans quatre ans", reconnaît Vincent Quirac, vigneron, à franceinfo. Selon nos analyses, son vin "naturel" contient seulement 10 mg/L de sulfites, alors que la législation en autorise jusqu'à 150 mg/L pour le vin rouge conventionnel. Ce vin est d'ailleurs le moins chargé en sulfites de toutes nos analyses.

Tout est donc une question de dosage : sur nos dix vins analysés, les quantités de sulfites varient de 10 mg/L à 202 mg/L. Seul hic : il est impossible de le savoir en regardant l'étiquette de votre bouteille. La législation impose simplement d'indiquer "contient des sulfites" à partir de 10 mg/L. "Ce serait intelligent d'avoir le dosage en soufre, estime Christophe Lavelle, chercheur au CNRS. C'est une vraie information que les gens pourraient juger."
Une cinquantaine de produits autorisés dans la fabrication

Nos analyses en laboratoire mettent aussi en évidence la présence de deux autres additifs. Parmi nos dix vins, quatre contiennent de l'acide ascorbique et un, de l'acide métatartrique. Deux ingrédients qui permettent d'éviter l'effervescence des vins et les dépôts. Leur utilisation est autorisée et sans danger pour la santé, selon le chercheur, mais là encore, pas de transparence sur le sujet.

Ces résultats ne sont que la face immergée de l'iceberg des intrants dans le vin. Au total, pas moins d'une cinquantaine de produits sont autorisés dans la viticulture conventionnelle. Parmi eux, on retrouve des "auxiliaires technologiques", utilisés lors de la transformation du produit, comme de la colle de poisson ou des protéines de lait et d'œuf. Il y a aussi des additifs pour la conservation, comme le soufre, pour le goût, comme le bois de chêne, ou encore pour la couleur, comme le polyvinylpolypyrrolidone ou crospovidone.

Une liste à rallonge, qui n'est pas forcément synonyme de nocivité. "La colle de poisson, le blanc d'œuf, la caséine [protéine de lait] sont utilisés par tout le monde depuis la nuit des temps. Ils sont inoffensifs. C'est ce qu'on fait en cuisine pour clarifier un bouillon, précise le biophysicien Christophe Lavelle à franceinfo. En termes de santé, il faut toujours se méfier des discours simplistes." Mais au-delà de la question de l'innocuité, reste celle de l'information : sur le vin, comme pour les autres aliments, "on réclame la transparence totale sur l'étiquette", lance Foodwatch, association de défense des consommateurs, contactée par franceinfo.
Le vin, dispensé des règles d'étiquetage

Pour le moment, impossible de savoir quels sont les produits vraiment utilisés dans l'élaboration de votre vin et en quelle quantité. "Une grande partie de ces intrants ne laissent aucun résidu dans le vin après filtration, ou certaines molécules sont déjà présentes naturellement", explique Vincent Bouazza, expert du laboratoire Dubernet, à franceinfo. On ne peut donc pas les détecter ni déterminer si leur présence était due à l'utilisation d'un additif ou bien naturelle.

La plupart des vignerons de notre panel ont refusé de nous dévoiler une "recette" précise. "Nous utilisons quasiment zéro additif", indique Laurent Abba, directeur général du vignoble Raymond, sans plus de détails. Olivier Techer, gérant d'un domaine bio à Pomerol, précise, lui, avoir exceptionnellement recours à des compléments d'azote ou des levures : "Ça arrive sur une cuve tous les trois ans." La composition exacte des autres vins demeurera mystérieuse tant que la législation n'imposera pas aux vignerons d'indiquer les ingrédients utilisés. Pour le moment, les vins et les alcools profitent d'une dérogation au règlement de l'Union européenne concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires.
De la transparence... mais pas trop

"Il est crucial que la Commission européenne aligne les règles d'étiquetage des boissons alcooliques sur celles en vigueur pour les autres produits alimentaires", demande l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie.

Tous les autres secteurs alimentaires sont parvenus à se conformer aux standards de l'Union européenne, tout en conservant des emballages esthétiques. L'industrie de l'alcool, bien implantée, devrait pouvoir faire de même.L'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologieà franceinfo

Certains vignerons, engagés sur la réduction des intrants, réfléchissent déjà à des solutions pour améliorer l'information. "Moi ça m'arrangerait que tout soit écrit sur l'étiquette, c'est vendeur, ajoute le vigneron bio, Olivier Techer. Mais pour certains domaines, ça peut être compliqué à gérer..." En effet, les vignerons conventionnels, plus gourmands en additifs, se montrent plus réticents à cette idée. "On ne peut pas tout écrire sur l'étiquette", justifie Christophe Château, directeur de la communication du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux. Le syndicat propose plutôt de mettre en place un QR code sur les bouteilles, qui renverrait vers un site proposant une information générique.
Des résidus de pesticides

Cette longue liste d'intrants ne doit pas occulter la présence d'autres éléments controversés dans le vin : les résidus de pesticides. D'après nos analyses, de nombreuses traces de produits phytosanitaires sont détectables jusque dans vos verres. Le cocktail peut atteindre 15 molécules différentes dans une même bouteille.

"Ce ne sont pas des produits anodins, réagit l'association Générations futures, engagée contre l'agriculture intensive utilisant des pesticides. Ce qui est affolant, c'est la dépendance de la viticulture à des produits dangereux. En France, 20% de tous les pesticides utilisés dans l'agriculture le sont dans les vignes, alors qu'elles ne représentent qu'un peu plus de 3% de la surface agricole."
Des produits classés cancérogènes

L'association de défense de l'environnement s'inquiète particulièrement des substances classées CMR. Des agents chimiques qui ont, à moyen ou long terme, "des effets cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction", selon l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
Il s'agit notamment de la carbendazime, une substance interdite depuis une dizaine d'années, mais que l'on retrouve à l'état de traces dans quatre de nos bouteilles. Elle est liée à l'utilisation du thiophanate-methyl, un fongicide assez répandu dans la viticulture. Une autre molécule, la phtalimide, est aussi "susceptible de provoquer le cancer", selon l'INRS. On la retrouve pourtant dans la moitié de nos bouteilles, comme marqueur de l'utilisation d'un pesticide, le folpel.

Deux autres pesticides, récemment interdits en France, se retrouvent aussi dans certains de nos échantillons. Quatre bouteilles contiennent de l'iprodione, un fongicide classé CMR, et le même nombre, du thiaméthoxame, un insecticide neurotoxique "tueur d'abeilles". Ces deux molécules, aujourd'hui retirées du marché, étaient encore autorisées au moment de la fabrication de nos bouteilles tests, en 2016.

"Aucune non-conformité au règlement européen"

Lire la suite sur  https://www.francetvinfo.fr


Commentaires