Avec vous, on a l’impression qu’on est revenu à une forme de journalisme plus incisif. Un sursaut nécessaire ?
Je ne vais pas me présenter comme une donneuse de
leçons car c’est un très mauvais positionnement, mais ce qui est sûr,
c’est que j’ai vécu dans les magazines d’investigation que je présentais
avant une évolution extrêmement forte et perceptible, à savoir une
prise de pouvoir des spécialistes de la communication. Ils arrivaient
avec des discours bien huilés qu’on nous demandait de relayer bien
gentiment. Et quand on menait des enquêtes plus poussées, on se heurtait
à un refus poli de répondre en jouant la politique de la chaise vide.
J’ai vu ce changement se mettre en place quand je faisais “Pièces à
conviction”. Les autres ont lâché du terrain en acceptant ces “règles”
qui nous étaient imposées par les services de communication. Il fallait
reprendre le terrain perdu au fil du temps et ce dans tous nos
magazines, “Cash Investigation”, “Envoyé spécial” et “Complément
d’enquête”.
On se serait laissé chloroformer ?
Chloroformer, embobiner avec des beaux dossiers clés
en main, la personne à interviewer, la belle histoire, tout ! Par
hasard, on vous donnait tous les contacts qu’il fallait appeler. Cette
dérive fut très progressive et on ne s’en est pas rendu compte… jusqu’à
ce qu’elle nous saute aux yeux ! On ne peut interviewer les politiques
ou les patrons que quand ils en ont envie !
Vous êtes un peu devenue la femme qu’on redoute, qui “coince” sa proie micro et caméra à l’appui : un mal nécessaire ?
Ce n’est pas du tout ce que je souhaite. Quand on en
arrive à aller dans un lieu public pour arracher un morceau d’interview à
un responsable, quel qu’il soit, on lui a auparavant adressé une
multitude de demandes en bonne et due forme. Quand un journaliste et un
interlocuteur se retrouvent face à face, argument contre argument, nous
avec nos questions, eux avec leurs réponses, on veut alors obtenir une
véritable explication. On mène parfois des enquêtes d’un an et, au
final, on en arrive à cette solution extrême, ce n’est pas notre souhait
de départ. Mais c’est un peu trop facile de dire « Non »…
“ Notre but n’est pas de faire du sensationnel”
Il n’y a donc aucun côté justicier ou pitbull ?
Pas du tout ! Vérifiez nos interviews diffusées dans
“Cash Investigation”. On se fixe pour règle de toujours garder notre
calme, de rester professionnel. Parfois, en face, on s’énerve. Nous, on
préfère nettement une interview claire à une date donnée, à une heure
précise, mais si, après quinze mails et autant de coups de téléphone, on
n’y parvient pas, on va chercher les gens là où ils sont. Notre but
n’est pas de faire du sensationnel mais d’obtenir des réponses.
Vous vous attaquez à de gros morceaux :
l’État, la finance, l’industrie, le business, n’est-ce pas trop
difficile de partir à l’assaut de citadelles comme celles-là ?
Oui et non. Dans toutes les citadelles, certaines
personnes en interne sont choquées de ce qui s’y passe. Ce sont des
lanceurs d’alerte et ils sont devenus déterminants pour notre métier.
Ils sortent des données, des documents. D’autres sont écœurés et veulent
témoigner de ce qu’ils ont vu. Ils ont une conscience et veulent
dénoncer certaines dérives auxquelles ils ont assisté. Donc ce n’est pas
facile d’enquêter mais ce n’est pas infaisable. Heureusement, nous
avons imposé notre légitimité. Beaucoup de gens nous appellent en se
disant qu’il y a du travail sérieux derrière et qu’ils préfèrent
s’adresser à nous. On est devenu une porte d’entrée à pas mal de gens
qui veulent nous confier des affaires.
Préférez-vous ce job-là à vos quinze ans de “19-20” sur France 3 et vos 10 ans du “13 Heures” sur France 2 ?
Préférer n’est pas le mot. J’ai adoré mes années de
présentation de JT durant 25 ans à France Télévisions et ce n’est pas du
pipeau. Mais j’ai aussi ressenti un très fort attrait pour
l’investigation. C’était le moment pour moi de changer d’orientation, de
quitter le quotidien. J’étais arrivée au bout de cette expérience. En
fait, il faut savoir tourner la page, prendre des risques et aller vers
de nouvelles aventures. J’ai toujours fonctionné ainsi et je crois que
je suis exactement en ce moment là où j’ai envie d’être.
N’y a-t-il pas un risque d’un jour braquer
le public, de mettre systématiquement en évidence le négatif ? Comment
éviter la déformation, l’excès ? La vérité avant tout ?
Je pense que la vérité n’est jamais un risque. C’est
très important pour les téléspectateurs de la connaître. Car il y a
beaucoup de faits qu’on tente de leur cacher ! Il ne faut pas entrer
pour autant dans un “complotisme” délirant mais il faut parler cash,
fournir les infos aux gens qui sont aussi des citoyens. On n’est pas des
justiciers de l’info. Les gens s’empareront de ces vérités et se feront
leur propre avis. Ils ont toute liberté pour réagir ! « Toute vérité
n’est pas bonne à dire » ? Je ne le pense pas. À notre époque, dans nos
démocraties où tout va très rapidement avec les réseaux sociaux, je
pense que travailler sur le long terme, sortir des dossiers étayés sur
des sujets brûlants, c’est très important. Pour le coup, on ne fait pas
de l’information spectacle. J’entends certains dire « Attention au
populisme, au “Tous pourris” » mais grâce à ces émissions, on peut
demander des comptes. Pour une démocratie, il n’y a pas mieux que la
vérité.
Les lanceurs d’alerte n’ont-ils pas toujours existé ? Zola, Hugo étaient des lanceurs d’alerte !
C’est tout à fait vrai. Ils faisaient front.
Aujourd’hui, différence notable, les lanceurs d’alerte font face à des
mastodontes économiques. Ça change la donne. Ils prennent un risque pour
leur vie entière : ils sont souvent virés, au chômage pour longtemps et
parfois condamnés. On a plusieurs exemples vécus de lanceurs d’alerte
ruinés ! Je les trouve très courageux ; franchement, mettre sa vie en
jeu pour de grands principes, chapeau ! On travaille parfois avec eux
mais nous ne sommes pas des lanceurs d’alerte. On est journaliste et
rien que journaliste et pas du tout partisan. Le seul syndicat dans
lequel on pourrait se reconnaître serait celui des téléspectateurs.
Les politiques agressent souvent les
journalistes et ripostent quand on les met en cause dans un reportage ou
sur un plateau. Comment gérer cette hostilité ?
À nous de tenir notre rôle. Ils sont de fait parfois
agressifs vis-à-vis de nous, et notamment avec moi. Je pense que ce
n’est pas la bonne réponse car un politique qui répond ainsi donne le
sentiment de ne pas vouloir répondre, donc qu’il aurait quelque chose à
cacher. On sent très fort la demande de transparence actuellement, qui
va de pair avec la condamnation des élites. S’attaquer aux journalistes
n’est pas un bon calcul.
“Cette liberté-là, c’est grâce au service public”
Un monde encore plus opaque est celui de l’entreprise : l’avez-vous constaté dans vos enquêtes ?
Pendant des années, on nous a mis en garde contre la
volonté de censure du monde politique sur les journalistes. Mais, en
réalité, la volonté de contrôle du monde économique est bien plus
importante. Les grandes entreprises disposent d’infiniment plus de
moyens pour nous intimider : elles ont des armées d’avocats et sont
toujours promptes à nous menacer d’un procès, avec des amendes très
lourdes, menant au pire, la mort économique. On doit faire très
attention au contenu. En ce qui nous concerne, nous travaillons avec nos
propres conseillers juridiques. Chaque émission est visionnée plusieurs
fois. On doit être irréprochable. Pour l’instant, heureusement, on n’a
encouru aucune condamnation. On nous menace mais trois mois après, il
n’y a toujours pas de plainte… On pèse chaque mot.
L’intimidation, ça marche parfois ?
Non, non. Je suis peut-être le porte-drapeau
médiatique d’un mouvement plus global. J’ai mes rédacteurs en chef, les
équipes de journalistes, qui sont aussi costauds que moi. Et puis, je
suis soutenue par France Télévisions. Si j’ai cette liberté-là, c’est
grâce au service public. Je sais que certaines enquêtes ont été
interdites sur d’autres chaînes où l’on est en liberté surveillée. C’est
précieux et je remercie la direction. Pour moi, c’est un marqueur. Pour
“Envoyé spécial” et “Complément d’enquête”, on compte une quarantaine
de journalistes. Il y en a une dizaine à “Cash Investigation”. Et nous
défendons tous ensemble une certaine forme de journalisme. Et
croyez-moi, on n’a pas envie de laisser tomber ! Mais, en contrepartie,
on doit observer la bonne mesure, ne pas s’acharner sur une personne ou
un groupe, ce qui donnerait l’impression qu’on s’obstine. Ce n’est pas
notre but de “se payer quelqu’un”. Notre but, c’est d’aller au fond des
sujets et de faire émerger une vérité cachée pour de mauvaises raisons.
Ces vérités sont parfois dangereuses, sur l’environnement, la santé.
Mais à force d’enfoncer le clou, les entreprises sont obligées
d’évoluer.
Quels sont vos modèles en journalisme ?
Je vais citer Pierre Desgraupes, un grand
intervieweur. Et Joseph Kessel, qui n’a jamais eu peur de dire ce qu’il
pensait à ses rédacteurs en chef et qui fut une formidable figure du
journalisme. Il y a aussi beaucoup de grands magazines étrangers. Et
puis, certains de mes jeunes journalistes car je vois la relève arriver,
cela va dans les deux sens. Ils me bluffent !
Vous pourriez enquêter sur votre propre entreprise ? Les salaires ? Les contrats…
On s’y est attelé avec l’affaire Bygmalion dans ses
rapports avec France Télévisions. Mais je suis loyale avec ma
hiérarchie : je dis ce que je fais et je fais ce que je dis. En fait,
c’est toujours intéressant de se poser des questions sur sa propre
boîte. Maintenant, ce ne serait pas simple. On aurait sans doute de gros
débats à l’intérieur. Mais à la fin, c’est toujours le téléspectateur
qui en sort gagnant.
Question personnelle pour conclure : à l’extérieur, au repos, vous arrivez à déposer les armes ?
Mais oui, je débranche. C’est mon ADN de chercher à
comprendre, mais j’arrive très bien à ralentir quand je vais en forêt,
ramasser les champignons, dans le sud-ouest, retrouver mes copains ou en
Normandie, chez mes parents. Je peux même me mettre au calme à Paris
devant un bon feu de bois.
Source : http://www.les-crises.fr
une femme qui a une conscience et "ils" ont assassiné son mari mais elle a continué bravo
RépondreSupprimerquand allons-nous voir des journalistes qui disent la vérité je parle de la France ce pays pourri par les merdias ?
ça ressemble déjà plus à du journalisme en effet. il faut continuer les efforts
RépondreSupprimertrés bien Elise.. continue!
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