Brzezinski et le monde demain


L’avenir, dit Brzezinski – il pense aux vingt prochaines années, «  pourrait bien être la dernière phase des alignements traditionnels et familiers dans lesquels nous avons grandi confortablement, et les réponses doivent être construites aujourd’hui » (1). On connaît le vieux géopoliticien américain, 88 ans, conseiller du président Carter (1977-1981) et resté une référence majeure de la pensée stratégique des Etats-Unis. Vision expliquée au public dans un Grand échiquier publié en 1997 et réactualisé en 2004 : la chute de l’Union Soviétique en 1991, marquait « l’étape finale de l’ascendance rapide d’une puissance de l’hémisphère occidental, les Etats-Unis, en tant que seule, et en réalité première véritable puissance globale ». Une ascendance qu’il avait anticipée, affirmant – dès les années soixante – que les blocages de la société soviétique ne permettraient pas à l’URSS, en dépit de sa puissance militaire et diplomatique, de rivaliser à terme avec les Etats-Unis.


Presque vingt ans plus tard, l’expert reprend la plume avec un constat : «  Comme l’ère d’une dominance globale s’achève, les Etats-Unis doivent prendre la main pour redéfinir l’architecture du pouvoir mondial ». L’objectif ? Eviter le chaos au monde qui vient – en préservant au mieux les intérêts américains.

Peu commenté lors de sa parution à la mi avril, son texte est repris et commenté fin août dans Counterpunch par un Mike Whitney qui note : «  Bien que l’article de Zbigniew Brzezinski publié dans The American Interest et intitulé Vers un réalignement mondial ait été largement ignoré des médias, il montre que des membres puissants de l’establishment ne croient plus que Washington puisse l’emporter dans sa quête pour étendre l’hégémonie américaine sur le Moyen-Orient et l’Asie » (2). Avec une question : « Mais pourquoi cette ère » de dominance globale « s’achève-t-elle aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé depuis 1997 quand Brzezinski se référait aux USA en tant que ’puissance suprême du monde’ ? ». Bonne question. Brzezinski se garde de nous dire en quoi la « puissance suprême », dont « aucun Etat dans le futur proche ne sera vraisemblablement susceptible d’égaler la supériorité économique et financière » est responsable de la situation actuelle. Il dresse simplement un constat en cinq points qu’il appelle «  cinq vérités fondamentales » qui nécessitent une redéfinition de la stratégie d’une Amérique qui n’est (premier point) « plus le pouvoir impérial mondial ».

Dans l’ordre, ce qui n’est pas innocent, vient ensuite la Russie qui vit, dit-il «  la dernière phase convulsive de sa dévolution impériale. Un processus difficile ». Sans qu’il soit exclu, «  si elle agit avec prudence et intelligence, qu’elle ne puisse devenir à terme un Etat-nation européen dominant ». Une remarque intéressante, en complète rupture avec les thèses des néoconservateurs et de tous ceux qui voient au contraire, y compris en Europe, Vladimir Poutine chercher à reconstituer l’empire russe. Notons au passage que nous revenons ici, au fond, à l’histoire européenne, y compris, en arrière plan non-dit, à la traditionnelle confrontation entre les intérêts allemands et russes autour des pays de l’est de l’Europe – et à la possibilité d’un rapprochement franco-russe (ce qu’on appelait une alliance de revers). Ajoutons que l’Europe sous sa forme actuelle (point quatre) « n’est pas et ne deviendra vraisemblablement pas une puissance mondiale ». Pour Zbigniew Brzezinski, la messe est dite : telle qu’elle est aujourd’hui, l’Europe est sortie des poids lourds du monde – sauf fonctions utilitaires, en appui des intérêts américains.

Mais voyons le point trois, la Chine. Elle « émerge continûment, bien que moins rapidement qu’elle ne l’a fait, comme la future puissance égale de l’Amérique et vraisemblablement sa rivale ; mais, pour le temps présent, elle s’efforce de ne pas lui opposer de défi ouvert. Du point de vue militaire, elle semble chercher à percer avec une nouvelle génération d’armement tout en renforçant patiemment sa puissance navale encore très limitée ». Il y a dans ce constat quelque chose d’incontournable : la Chine est et sera. Mais ? Mais « son succès économique demande de la patience et la conscience de ce que la précipitation politique pourra provoquer en matière de dégâts sociaux ». Une allusion aux Royaumes combattants chinois (Ve siècle à 221 av. J.-C) ? Et puis, il y a le chaos issu du Moyen-Orient (point cinq) qui pourrait, s’il n’était pas contenu, «  contaminer les territoires du sud et de l’est russes aussi bien que les parties ouest de la Chine » (on pensera au Xinjiang). Suit un long développement sur les raisons du chaos dans « le monde musulman postcolonial » qui n’est probablement pas de la plume de Brzezinski – mais de celle d’un assistant cité en fin d’article. L’essentiel est que ce chaos s’exporte «  au-delà du monde musulman – et dans le futur possiblement depuis d’autres parties de ce qu’on a coutume d’appeler le Tiers monde ». Et que donc les Etats-Unis, la Russie et la Chine (comme « principal partenaire ») ont intérêt à travailler ensemble à contenir ce désordre, en lien avec les puissances régionales pertinentes, « Turquie, Iran, Egypte et Arabie Séoudite si le pays peut détacher sa politique étrangère de l’extrémisme wahhabite ». Sachant que « nos alliés européens, dominants dans la région par le passé, peuvent aider à cet égard ».

Il y a des non-dits dans ce tableau. Relevons avec Mike Whitney que Brzezinski n’aborde pas ce qui pourtant fonde la puissance américaine, le règne du dollar, « les dangers d’un système qui ne serait plus basé sur le dollar progressant dans les pays en développement et les pays non-alignés qui remplacerait l’oligopole de la Banque centrale occidentale. Si cela arrivait, alors les USA perdraient leur mainmise sur l’économie mondiale » (2). Mais il y a aussi ce silence étourdissant sur le chaos interne aux Etats-Unis – et sur les perspectives ouvertes avec l’élection présidentielle. « Malheureusement », constate Mike Whitney, «  l’approche plus prudente de Brzezinski ne sera probablement pas suivie par la favorite Hillary Clinton, qui croit fermement à l’expansion impériale (de son pays) par la force des armes ». Pour Donald Trump, remarquait en février dernier le spécialiste de l’histoire américaine Justin Vaïsse pour le Figaro (3) «  sa position tranche totalement avec l’interventionnisme observé ces dernières années au sein du parti républicain. Il a adopté une realpolitik qui tente de s’accommoder de ceux que l’Amérique désigne habituellement comme ses adversaires, à commencer par Poutine. Depuis les années 1980, Trump a remis en cause le consensus du ‘plus c’est mieux’ (more is better), selon lequel plus intervenir, c’est mieux. Obama lui-même avait déjà pris ses distances avec l’interventionnisme systématique, sinon en se retirant, du moins en changeant de stratégie au Moyen-Orient et au Maghreb ». Sondages contradictoires aidant (4), nous n’avancerons aucune hypothèse. Notons seulement que Zbigniew Brzezinski s’exprime comme si les Etats-Unis échappaient au désordre général, pôle de stabilité dans un monde mouvant – ce qui n’est pas le cas.

Néanmoins, l’appel de Brzezinski est impérieux : « L’alternative à une vision constructive, et spécialement la recherche d’une issue militaire et idéologique imposée unilatéralement ne peut que prolonger inanité et autodestruction. Pour l’Amérique, la conséquence peut être un conflit durable, de la lassitude et même possiblement un retrait démoralisant sur un isolationnisme pré-20ème siècle. Pour la Russie, cela pourrait signifier une défaite majeure, augmentant la probabilité d’une subordination, d’une manière ou d’une autre, à la prédominance chinoise. Pour la Chine, cela peut annoncer une guerre, non seulement avec les Etats-Unis mais aussi, peut-être séparément, avec le Japon ou l’Inde, ou les deux. Et, dans tous les cas, une phase longue de guerres ethniques, quasi religieuses, au travers de tout le Moyen-Orient avec un fanatisme auto-justifié qui engendrerait des effusions de sang dans et hors de la région, et une cruauté croissante partout ».

Que l’on épouse ou non la vision du grand sachem américain – et qu’en pensent Russes et Chinois ? – son texte donne à réfléchir. Nous aurons une réserve, pourtant – la même que celle de nos confrères de la Vigie (5) dans leur dernière livraison : «  Le monde se défait. Tout se passe comme si l’Occident était ce personnage de Tex Avery, qui court dans le vide sans s’être rendu compte qu’il avait franchi le bord du précipice. L’équilibre n’est plus qu’un souvenir et la notion même de domination ou d’ordre mondial a vécu sous nos yeux ».

Une seule certitude : Zbigniew Brzezinski sait que le monde se défait – celui-là même sur lequel il a pesé. Son repentir est-il trop tardif ?

Hélène Nouaille

Mise en ligne CV , avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Notes :
(1) The American Interest, vol.11 n° 6, le 17 avril 2016, Zbigniew Brzezinski, Toward a New Realigment
Son livre (The Grand Chessboard) est téléchargeable en anglais :
(2) Counterpunch, le 26 août 2016, Mike Whitney, The Broken Chessboard : Brzezinski Gives Up on Empire
(3) Le Figaro, le 2 février 2016, Eléonore de Vulpillières, Entretien avec Justin Vaïsse, Zbigniew Brzezinski, le stratège méconnu de l’empire américain
(4) Zero Hedge, le 1er septembre 2016, Tyler Durden, Hillary’s Approval Rating Plunges To Record Low, Neck And Neck with Trump
(5) La Vigie n° 50, troisième année, le 31 août 2016, Craquements d’été


Commentaires

  1. Anonyme6.9.16

    on commence à en avoir marre de tous ces dégénérés psychopathes entre les vieux caciques hybridés, les politiques qui tentent de revenir pour 2017 tout ce monde au trou et plus vite que çà....
    ne perdons plus de temps, plus jamais de gouvernement dans tous les pays du monde et là enfin nous allons respirer et encore que vu l'aluminium que nous recevons pour créer la sécheresse dans le sud en ce moment c'est pas gagné, ils sont en train de nous pulvériser, enfin surtout les personnes âgées... 38°
    vous donnez trop d'importance à tous ces voyous

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