Bisphénol A : nouveaux soupçons sur le perturbateur endocrinien


Des chercheurs ont découvert le rôle d'un nouveau récepteur très sensible au bisphénol A et pouvant provoquer des maladies métaboliques comme l'obésité ou le diabète.

Canettes de soda, boîtes de conserve, emballages en plastique… Le Bisphénol A est présent dans de nombreux objets du quotidien.
On croyait jusqu'à présent que les récepteurs des œstrogènes étaient les cibles principales du bisphénol A (BPA), polluant industriel qui agit comme un perturbateur endocrinien. Le rôle d’un autre récepteur, appelé ERRγ, avait également été suggéré par des observations in vitro.




L'équipe de Vincent Laudet à l'Institut de Génomique Fonctionnelle de Lyon vient de démontrer in vivo l'action du bisphénol A via ce second récepteur ERRγ. Ses travaux, publiés dans The FASEB Journal, devraient permettre de mieux comprendre les effets de cette molécule sur le métabolisme, notamment sur le diabète et l'obésité. Ils apportent un nouvel élément aux discussions sur l'évaluation des risques liés au BPA, un sujet actuellement étudié par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ou encore l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).

Première preuve d'un lien entre le BPA et un récepteur hormonal autre que celui des oestrogènes
Des données récentes suggèrent que le BPA pourrait agir par des mécanismes indépendants des récepteurs des œstrogènes. Ceci est particulièrement important au moment où les données montrant un effet du BPA sur des organes non liés à la reproduction se multiplient. Cependant, aucune preuve directe in vivo liant un effet du BPA et un récepteur hormonal alternatif n'existait à ce jour. 


OREILLE. L’équipe de Vincent Laudet avait déjà montré en 2011, en utilisant le poisson-zèbre comme modèle, que le BPA induisait un développement anormal de la vésicule otique, la structure qui va donner l'oreille interne de l'adulte. En particulier, le BPA induit la formation d'otolithes anormaux, les otolithes étant des petites structures minéralisées qui permettent aux animaux de réguler leur équilibre.

Les chercheurs avaient en outre montré que cet effet n'était pas dépendant des récepteurs des œstrogènes et s'étaient donc mis en quête du récepteur par lequel le BPA exerçait cette action in vivo.
Une démonstration in vivo

LIAISON. Cette quête a abouti à l'identification de ERRγ. En combinant des approches pharmacologiques et génétiques, les chercheurs ont démonté que, chez le poisson zèbre, le récepteur nucléaire orphelin ERRγ est le médiateur des malformations induites par le BPA dans les otolithes.
En utilisant différents dérivés de bisphénol, ils ont montré que différents composés peuvent induire un effet similaire à celui du BPA et que l'affinité de liaison de ces dérivés à la ERRγ de poisson zèbre corrèle effectivement avec leur capacité à induire des malformations des otolithes. De plus, s'ils suppriment la fonction de ERRγ in vivo, ils suppriment effectivement l'effet de BPA sur les otolithes.
Ces résultats indiquent donc que ERRγ est indispensable pour obtenir un effet du BPA sur la vésicule otique.

Des effets pour l'instant sous-estimés ?

EFFETS. Ces résultats suggèrent que la gamme des effets induits par ce composé est bien plus importante que prévu. En particulier, les effets métaboliques du BPA décrits jusqu'à présent dans le contrôle de la production d'insuline pourraient tout à fait être liés à une activation anormale de ce récepteur et non des récepteurs des œstrogènes.

En effet, ERRγ est un régulateur important du métabolisme et a été récemment impliqué dans le contrôle de la sécrétion d'insuline chez la souris. Dans le foie, ERRγ régule l'expression des gènes de la gluconéogenèse. Ce récepteur est également impliqué dans le métabolisme aux niveaux du cœur et des muscles squelettiques. Ainsi, par exemple, ERRγ pourrait être un acteur majeur de l'obésité induite par le BPA chez les nourrissons.

AUDITION. Par ailleurs, très récemment, une équipe anglaise a montré un rôle important de ERRγ dans le développement de l'oreille interne chez la souris, de même qu’un lien entre ERRγ et l'audition chez l'homme. Ces travaux, liés aux résultats obtenus par l'équipe de Vincent Laudet chez le poisson zèbre, suggèrent qu'il faudrait examiner le lien possible entre BPA et perte de l'audition.


DOSE. Ces travaux suggèrent qu'il faut donc réévaluer l'impact du BPA sur la santé humaine en élargissant son spectre d'action depuis les effets reproducteurs jusqu'aux effets développementaux et métaboliques. Comme l'affinité de ERRγ pour le BPA est environ 1000 fois plus forte que celle des récepteurs des œstrogènes, cela devrait également conduire à rediscuter de la dose journalière admissible de ce composé, liés aux nombreux effets détectés à des ni veaux d'exposition inférieurs à cette dose. Le BPA fait actuellement l’objet d’une consultation de l’EFSA sur son projet d’avis sur l’évaluation des risques, consultation à laquelle l’Anses a répondu en mars 2014.

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