Allemagne : La Cour constitutionelle veut stopper la participation de la Bundesbank aux plans de sauvetage européens



Le risque s’accroît que la Cour constitutionelle allemande bloque la participation de la Bundesbank aux OMT. La Cour pourrait contraindre les institutions allemandes à cesser leur soutien aux opérations de l’UE. Aux yeux des marchés, ceci minerait la crédibilité des politiques de sauvetage prévues par la BCE.

Selon Bank of America, le risque est relativement élevé d’un jugement de Karlsruhe consacrant l’illégalité des OMT telles qu’elles sont aujourd’hui prévues.
Le risque s’accroit de voir la Cour constitutionnelle allemande restreindre sévèrement le dispositif de sauvetage prévu pour l’Italie et l’Espagne, dispositif fonctionnant par rachats de titre obligataires. Ce qui pourrait, en empêchant la Bundesbank d’y prendre part, ranimer l’incendie de la crise de la dette en zone euro..


Le journal Frankfurter Rundschau rapporte que le verdict a été différé depuis le mois d’avril en raison notamment de la complexité de la question et de fortes différences entre les opinions des huit juges.
Plus le processus dure, moins vraisemblable devient-il que le tribunal – ou Cour constitutionnelle – se pliera aux demandes insistantes du gouvernement allemand, lequel espèrerait un jugement favorable à la machinerie de bail-out à laquelle il avait donné son accord.

Les conséquences seraient potentiellement très graves, spécialement à un moment où l’on s’inquiète déjà pour les marchés émergents,” selon un initié. “Nous ne pensons pas que la Cour ira jusqu’à interdire les rachats de titres, mais ils pourraient bien exiger certaines modifications susceptibles de compliquer sévèrement les choses.

Le plan de la BCE de soutien aux pays du Sud de l’Europe – connu sous le nom d’OMT – n’a pour l’instant jamais été appliqué ou même testé. Le simple engagement de faire tout ce qui sera nécessaire – le fameux “whatever it takes” de Draghi – avait suffi à calmer les marchés obligataires en Juillet 2012.
Cependant, cet effet de pure rhétorique est susceptible de fonctionner dans les deux sens. Dès lors que les marchés auront commencé à mettre en doute l’existence même de la solution OMT, la confiance pourrait bien, de nouveau, s’évaporer.

Bank of America dit qu’il existe un risque relativement élevé que la Cour décidera de l’illégalité de l’OMT tel que défini à ce jour. “La Bundesbank pourrait se voir interdire de participer.” explique dans un rapport l’expert bancaire allemand Tobias Blattner.

Quoique la Cour constitutionnelle allemande n’ait pas autorité sur la BCE, elle peut contraindre les institutions allemandes à prendre part aux opérations européennes, ce qui revient en pratique au même. Sans participation allemande, les actions de sauvetage de la BCE perdraient instantanément toute crédibilité aux yeux des marchés.

Bank of America a dit qu’il n’était pas vraisemblable que la Cour censure purement et simplement les OMT, mais il reste qu’un jugement défavorable renforcerait grandement la position des euro-sceptiques allemands, tout en risquant de provoquer un nouveau sell-off sur le marché obligataire. “La réaction du marché dépendra nécessairement des détails. Même dans un scénario extrême, on peut s’attendre à ce que la BCE tente d’endiguer la panique en annonçant des mesures alternatives,” ajoutent-ils.

Cinq experts témoins ont plaidé, lors des audiences publiques de l’an dernier, que le plan de cette mesure défensive que prévoit la BCE pour le marché obligataire violait tant le traité de Lisbonne que la loi fondamentale – la constitution – de l’Allemagne.

Le Président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a pour sa part soutenu lors de son témoignage que la BCE violait son propre mandat, du fait qu’elle conditionnait son éventuelle action à un facteur politique, décidé en fin de compte par des parlements nationaux d’États membres.

Le texte de l’argumentaire soumis à la Cour par la Bundesbank ayant fuité, on a pu voir qu’il exploitait systématiquement chaque ligne de la justification des OMT qu’avait donnée Mario Draghi. 

L’argumentaire de la Bundesbank concluait que le mandat de la BCE n’était en aucun cas de maintenir “la composition courante de l’Union monétaire ” [NdT : c'est à dire de tenter d'empêcher un ou plusieurs exits], ni non plus de venir en aide aux pays en crise.

Le texte dit aussi que les OMT impliquent le rachat de “bad bonds”, contredit l’indépendance de la BCE et crée un risque de lourdes pertes financières dans le cas, qui n’est “pas improbable”, ou des États débiteurs se verraient contraints de quitter l’union monétaire.

Le Frankfurter Rundschau affirme qu’un jugement favorable à la BCE contredirait “spectaculairement” la jurisprudence émanant de plusieurs arrêts passés, et spécialement celui, fondamental, qu’avait rendu la Cour s’agissant du Traité de Maastricht, dans les années 90.

Quoique la Cour ait jusqu’à présent soutenu chaque étape de l’intégration européenne, et qu’elle ait également soutenu les mesures de bail-out de la zone euro, elle n’en a pas moins imposé des restrictions qui réduisent la marge de manœuvre de Berlin.

La Cour a en effet autorisé les bail-out originaux en 2011, mais, crucialement, a jugé que les pouvoirs budgétaires du parlement national, le Bundestag, sont inaliénables et ne peuvent être transférés en tout ou en partie à quelque autorité supra-nationale que ce soit, ce qui a eu pour effet de tuer dans l’œuf tout espoir de voir un jour des eurobonds ou une quelconque autre forme de mutualisation de la dette au sein de l’UEM.

Les juges avaient rendu un verdict détonnant sur le Traité de Lisbonne en Juin 2009, rappelant à Bruxelles que ce sont les États-nations qui sont les maitres des traités, et non pas l’inverse.

Ce verdict définissait les limites à ne pas franchir de l’intégration européenne, et avertissait qu’un certain nombre de domaines – parmi lesquels figurait les pouvoirs budgétaires – « devaient rester pour toujours allemands ». En un coup de semonce épique, il posait en principe que l’Allemagne devait se tenir prête à “refuser de continuer à participer à l’UE” dès lors que la dynamique de l’intégration commencerait à éroder la démocratie allemande.

Le président de la Cour constitutionnelle, Andreas Vosskuhle, dit que l’Allemagne a épuisé les possibilités d’intégration européennes compatibles avec la loi fondamentale, i.e. la constitution de l’Allemagne. Si le pays en venait à souhaiter s’engager sur la voie de l’union fiscale, ce qui serait un changement révolutionnaire, alors il devrait adopter une “nouvelle constitution”. Ce qui impliquerait un référendum.

Jusqu’à présent, les marchés ont présumé que la Cour constitutionnelle se livrait essentiellement à un bluff, et qu’elle n’était pas désireuse de faire quoi que ce soit qui puisse mettre en péril les plans de sauvetage de l’union monétaire. Les dernières fuites en provenance de Francfort et de Karlsruhe, cependant, suggèrent que cette opinion devrait être révisée.


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