Des organes imprimés en 3D

Des organes imprimés en 3D en Suisse


Basée dans le canton de Fribourg, RegenHU va lancer sur le marché des organes produits avec ses bio-imprimantes 3D. Prochaine étape: les blocs opératoires des hôpitaux?

INNOVATION
Qu’est-ce que Jing Yang, chercheur de l’Université de Nottingham, peut bien faire à Villaz-Saint-Pierre, paisible bourgade fribourgeoise? Il visite RegenHU, une entreprise acquise par CPA Group et fleuron de son incubateur privé, Le Vivier. Sur un écran, ce chercheur fait pivoter un nez dessiné en 3 dimensions.

Il explique: «Avec un scanner, on a une image précise d’un organe comme celui-ci qui a dû être retiré à un patient. Et si aujourd’hui on produit déjà des prothèses avec des imprimantes 3D, nous pensons qu’il sera à terme possible de refabriquer un organe vivant implantable avec une imprimante 3D».


Pionnière dans les bio-imprimantes 3D
Bienvenue dans le monde de l’impression de pièces de rechange pour le corps humain. Et s’il faut se rendre dans la campagne fribourgeoise pour entrer dans cette nouvelle dimension des technologies médicales, c’est parce que RegenHU est un leader de ce domaine émergent. C’est même la première entreprise qui va lancer sur le marché des organes produits avec les bio-imprimantes 3D qu’elle développe depuis sept ans.

Marc Thurner a fondé cette société sur la base de recherches menées à la Haute Ecole d’ingénieurs de Bienne. Devant une table de la cafétéria, il sort de son emballage un bloc blanc qui ne paie pas plus de mine qu’un morceau de sucre.


A l’observer de près, on constate que sa structure est parcourue de minuscules canaux. «Ils sont destinés à permettre aux cellules du maxillaire osseux de reconquérir une zone laissée vide par la perte d’une dent afin de fournir une base dans laquelle fixer un implant», explique le jeune CEO.

Pour conquérir le marché dentaire, RegenHU a inventé un modèle d’affaires original. Elle ne commercialisera pas directement ce produit développé avec la faculté dentaire de l’Université de Genève mais a créé un spin-off, Vivos Dental, à cet effet.


Avec le sésame du marquage européen espéré début 2014, la commercialisation de ce premier organe imprimé en 3D est à bout touchant. Et, avec, la possibilité pour RegenHU d’équiper Vivos Dental avec ses imprimantes et de se consacrer au développement d’autres applications, berceaux d’autres spin-off.

La Rolls des biofactories

RegenHU a pas mal tâtonné avant de choisir de s’orienter vers cette niche. Avec un certain flair si l’on en juge par le carnet de commandes de l’entreprise. D’une machine par an il y a deux ans, les livraisons ont atteint 20 imprimantes facturées entre 80  000 francs et un demi-million cette année.


Des clients comme la National University de Singapour ont commandé la Rolls des biofactories tandis que d’autres universités en Asie s’équipent avec la 3D Discovery. Et si, en Suisse romande, seul l’Institut Adolphe Merkle, de Fribourg, dispose d’une biofactory, RegenHU enregistre des commandes d’universités américaines qu’on retrouve dans le top 10 du classement de Shanghai.

Cette clientèle académique s’équipe essentiellement pour investiguer quels organes seront imprimables en associant matériaux biocompatibles et génie tissulaire. Comme Jing Yang, qui a pour projet de commencer par réaliser en 3D des matrices biocompatibles et fonctionnalisées (avec des facteurs de croissance) afin de faire croître des cellules-souches qui se spécialisent en cellules de cartilage.

Il ne cache pas que cela demandera beaucoup de recherche et qu’une imprimante 3D est désormais indispensable. Quant à l’idée d’ajouter au cartilage du muscle, de la peau et de vasculariser et de relier au système nerveux ce nez artificiel, le chercheur convient que c’est de la science-fiction, mais confirme que c’est le but.

D’autres partenaires de RegenHU sont plus avancés. L’Hôpital universitaire de Zurich a développé une technologie d’impression 3D de la peau avec cette technologie. A l’ETHZ, Mischa Müller explique qu’il se sert de l’impression 3D pour «moduler les matériaux, couche par couche, de cartilage».

A l’Institut Adolphe Merkle, Barbara Rothen transfère vers une biofactory sa technologie de reproduction de la membrane des poumons. Son but: obtenir un modèle non animal destiné à expérimenter l’inhalation de médicaments ou les risques d’absorption de nanoparticules.

«C’est la beauté de cette technologie, poursuit Marc Thurner. Les applications sont nombreuses, ce qui permet d’être créatifs.» RegenHU envisage le lancement d’un prochain spin-off dans le domaine maxillo-facial avec en vue le marché de la chirurgie esthétique. Elle a même une collaboration avec un médecin zurichois pour l’impression 3D de structures pour la transplantation de foies!


Une concurrence féroce
Instruit par les déceptions passées de la médecine régénérative, Marc Thurner se veut prudent afin de ne pas générer des promesses impossibles à tenir à court terme vis-à-vis des patients. «Il y a un effet de mode autour de l’impression 3D et nous en bénéficions. Cela dit, nous ne voulons pas entrer dans le jeu de nos concurrents qui annoncent des résultats spectaculaires alors que la réglementation et les risques des essais cliniques mettent ces perspectives à des années.»


Reste que l’agressivité de ces concurrents est un réel danger pour la PME de sept employés. Certes, elle a l’appui de CPA Group. Mais elle doit aussi régater contre l’américaine Organovo qui vient de lever 46,6 millions de dollars sur le Nasdaq et contre Regenovo qui a l’appui Gouvernement chinois. Pour conquérir l’étape postuniversités, celle des blocs chirurgicaux, le fabricant de bio-imprimantes suisses a besoin que son pays mesure qu’il est prophète.

Source : bilan.ch

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