Cinq ans de prison pour la lanceuse d'alerte Reality Winner


La jeune femme de 26 ans, employée d'un sous-traitant de la NSA, était jugée pour avoir transmis à la presse un rapport classifié sur des tentatives de piratage visant l'infrastructure de vote, et attribuées à la Russie.

Elle est la première lanceuse d’alerte de l’ère Trump jugée au titre de l’Espionage Act, cette loi désormais centenaire utilisée sous Obama pour poursuivre Chelsea Manning, la source des documents confidentiels de l’armée américaine publiés en 2010 par WikiLeaks, et Edward Snowden, l’ancien consultant qui a révélé l’ampleur de la surveillance en ligne pratiquée par la NSA, l’Agence nationale de sécurité américaine. Ce jeudi, Reality Winner, 26 ans, a été condamnée à cinq ans et trois mois de prison par un tribunal d’Augusta (Géorgie) pour avoir transmis à la presse un document classifié sur des tentatives de piratage à l’encontre de l’infrastructure électorale, attribuées à la Russie. Soit «la sentence la plus lourde jamais prononcée contre la source d’un média dans un tribunal fédéral», relève la Freedom of the Press Foundation.

Employée d'un sous-traitant du renseignement

Le 5 juin 2017, le site d’investigation américain The Intercept révélait le contenu d’un rapport confidentiel émanant de la NSA. Daté du mois précédent, ce document expose la manière dont des pirates informatiques ont tenté, à l’approche de l’élection présidentielle de 2016, de subtiliser des identifiants et des mots de passe à des employés de VR Systems, une entreprise de Floride qui fabrique des équipements et logiciels de contrôle des listes d’émargement dans les bureaux de vote. 

But de la manœuvre : accéder au réseau interne de la société afin d’y trouver des informations permettant, dans un second temps, de piéger des administrations locales en leur expédiant des programmes malveillants camouflés dans des documents Word. Une activité que l'agence américaine attribue en toutes lettres au service de renseignement militaire russe, le GRU, déjà accusé d’avoir piraté le Comité national démocrate (DNC) et le directeur de campagne de Clinton en 2016.


Or moins d’une heure après la parution de l’article de The Intercept, le département américain de la Justice annonçait la mise en examen de Reality Leigh Winner, ancienne de l’US Air Force où elle officiait comme linguiste, et désormais employée de Pluribus International Corporation, un sous-traitant de la défense et du renseignement américains. Winner, détachée auprès d’une «agence gouvernementale», était accusée d’avoir transmis à un «média» un document classifié, des faits qu’elle a reconnus après son arrestation par le FBI.

«Effet dissuasif»

En juin dernier, alors que Reality Winner était en détention depuis plus d'un an, son équipe de défense a négocié un accord de plaider coupable. Ce jeudi lors de l’audience, la jeune femme a dit assumer «l’entière responsabilité» de ce qu’elle a qualifié devant le juge d’«erreur incontestable». Les procureurs, de leur côté, l’ont accusée d’avoir agi par «mépris des Etats-Unis», et ont affirmé que ses révélations avaient «causé un dommage exceptionnellement grave à la sécurité nationale». Une assertion que les soutiens de Winner ne sont pas les seuls à réfuter. «Personne n’a été mis en danger, personne n’a vu son identité révélée, les Russes ont juste appris que lorsqu’ils s’introduisent dans nos systèmes, nous sommes capables de les repérer, ce qu’ils savaient déjà, estime un ancien avocat au département de la Justice, Robert Cattanach, cité par le New York Times. En tout état de cause, ce genre de condamnation est destiné à avoir un effet dissuasif.»

Début mai, un rapport du Sénat américain a reproché au département de la Sécurité intérieure d’avoir eu une réponse «inadéquate» face à la «menace contre l’infrastructure électorale», et relevé que les administrations des différents Etats avaient commencé à se préoccuper de la sécurité de leurs réseaux notamment suite aux articles de presse sur le sujet… «Reality Winner est une lanceuse d’alerte qui a averti le public d’une menace grave sur la sécurité des élections, déclarait jeudi soir Trevor Timm, le directeur exécutif de la Freedom of the Press Foundation. Que le département de la Justice continue à poursuivre des sources de journalistes au titre de l’Espionage Act, une loi qui ne permet pas de se défendre en faisant valoir l’intérêt public, est une mascarade.»

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