La policière responsable de la vidéosurveillance à Nice : "On m'a mise en ligne avec le ministère de l'Intérieur"


Une page Facebook pour soutenir Sandra Bertin :  facebook.com/SoutienSandraBertinPolice -  "S'ils sont capables de mentir éhontément sur des faits aussi graves, alors imaginez sur le reste..."
 

En poste le soir du 14 juillet, Sandra Bertin, chef du Centre de supervision urbain (CSU) de Nice et secrétaire générale du Syndicat autonome de la Fonction publique territoriale (SAFPT) Métropole-Ville de Nice, revient pour le JDD sur sa nuit aux commandes de la vidéosurveillance... Et se confie sur les pressions exercées par la place Beauvau.


Christian Estrosi contre Bernard Cazeneuve. L'homme fort de la ville de Nice, à la tête des Républicains de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, contre le ministre de l'Intérieur. Depuis le 14 juillet, les deux hommes se renvoient la balle dans la responsabilité des attentats de Nice. Le premier accuse le second de "mensonge d'État" au sujet des effectifs de la police nationale présents le soir de l'attaque, images de caméras de vidéosurveillance – son dada – à l'appui.

Contrairement à ce que le ministère et la préfecture avaient affirmé dans un premier temps, l'endroit où le camion a pénétré sur la promenade des Anglais était tenu, le soir de l'attentat, par une seule voiture de la police municipale, et non par la police nationale. Le ministre de l'Intérieur a répliqué en demandant une enquête de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui doit rendre son rapport cette semaine. "Bernard Cazeneuve a fait preuve de sang-froid, de rigueur, de compétence, qui à mon sens ne devraient pas laisser place à la polémique mais simplement à la demande de vérité et de transparence", a soutenu François Hollande.

Polémique dans la polémique, la sous-direction antiterroriste a demandé mercredi à la ville de Nice "l'effacement complet" des enregistrements "des caméras desservant la promenade des Anglais" le soir du 14 juillet. Motif : la peur d'une fuite auprès du public, alors que certaines vidéos de la tuerie du 13 novembre s'étaient retrouvées dans les médias. La Ville a refusé. Sandra Bertin, policière municipale et secrétaire générale du Syndicat autonome de la fonction publique territoriale (SAFPT) de Nice, exprime son désarroi et sa colère. Dimanche midi, Bernard Cazeneuve a annoncé qu'il portait plainte contre elle pour diffamation.

Quand le camion de Mohamed Laouhaiej Bouhlel entre sur la promenade des Anglais ce 14 juillet, que voyez-vous sur vos écrans?

Je me rappellerai toute ma vie de cette heure-là : 22h33. J'étais devant les écrans du CSU avec les équipes. Nous recevons alors des policiers municipaux positionnés sur la promenade le signalement d'un camion fou. Nous récupérons tout de suite son image à l'écran et nous demandons son interception. Le camion était lancé à 90 km/h, sans phares, sans qu'on l'entende à cause du bruit. Il contourne le barrage de la police municipale. Les équipes n'ont pas pu l'arrêter. On ne crève pas les pneus d'un 19 tonnes avec un revolver! À ce moment-là, d'autres policiers municipaux sont en civil dans la foule, qui se retrouvent face à lui. S'ils avaient été armés comme nos collègues de la police nationale, une de nos revendications, ils auraient pu le stopper. Le poids lourd se retrouve finalement face aux policiers nationaux, qui tirent et le neutralisent. Il est 22 h 34.

Une longue nuit commence…

Nous avions peur que des explosifs ou des individus soient dans le camion, qu'une seconde attaque ait lieu… Les policiers municipaux sécurisent alors l'arrière du poids lourd pendant une demi-heure avant l'arrivée des démineurs. En parallèle, nous lançons l'alerte pour les secours, nous activons le PC de crise et le plan blanc pour les hôpitaux. Les blessés sont évacués, l'identification des corps commence. Je ne suis rentrée chez moi que le vendredi soir vers minuit.

"Je me rappellerai toute ma vie de cette heure-là : 22h33"

Vous vivez ce drame en direct à l'écran… Comment gère-t-on cela?

C'était l'horreur. J'ai vu le fauchage des passants sur la route du camion, mes collègues faire des massages cardiaques à des enfants. Mais lorsque je reçois l'alerte, je dois faire le lien radio entre les polices municipale et nationale. Il faut être capable de donner tous les détails. Cet individu, je l'ai vu trois secondes sur nos caméras couleur. C'était très furtif, mais j'ai vu clairement que c'était un homme seul au volant, ses cheveux bruns, sa tenue… J'ai tout de suite pensé à une attaque terroriste.

Étiez-vous préparée à une telle attaque?

J'avais dispensé à mes équipes des formations pour détecter les comportements suspects et savoir réagir en cas d'attaque terroriste. Heureusement! Le camion est repéré vingt secondes après son entrée sur la promenade par la police municipale. Il n'y a pas un moment où, à l'écran, mes agents vont le lâcher. Je suis sidérée par les accusations sur notre travail, sur le fait que nous ne l'ayons pas détecté en amont lors de ses repérages sur la promenade les jours précédents. Ce soir-là, le terroriste est neutralisé en une minute, contre deux heures au Bataclan – je suis désolée pour la comparaison malheureuse. Nos équipes ont été incroyablement réactives, pleines de sang-froid alors qu'elles ont vu et subi l'horreur. Il faudrait leur dire merci.

«C'était très furtif, mais j'ai vu clairement que c'était un homme seul au volant, ses cheveux bruns, sa tenue… J'ai tout de suite pensé à une attaque terroriste»
Mohamed Laouhaiej Bouhlel passe malgré tout plusieurs fois avec le camion entre le 11 et le 14 juillet alors que l'accès aux 19-tonnes est interdit, sans que vous interveniez.

Si nous l'avions vu sur la promenade via nos caméras, nous aurions relevé l'infraction puis nous l'aurions relayée au parquet, qui aurait décidé de poursuivre ou non. Mais cela ne l'aurait pas empêché de revenir! Nous aurions aussi pu envoyer une équipe pour le verbaliser, puis il serait reparti. Une dizaine de caméras de surveillance sont positionnées sur les 7 kilomètres de la promenade, environ 1.300 dans toute la ville. Des infractions au code de la route, il y en a tous les jours, mais tout le monde n'est pas verbalisé.

Il n'était donc pas possible de détecter la récurrence d'un phénomène avec les caméras?

La répétition ne peut être ­détectée que par un œil humain. Le problème, c'est qu'il n'est pas aberrant de voir un camion de 19 tonnes sur la promenade des Anglais. Tous les jours, ce type de poids lourd vient livrer les hôtels, approvisionner les plages. Ce ne sera pas le premier ni le dernier de ce tonnage sur la Prom. La relecture de nos bandes a par contre permis de voir où le camion était stationné après avoir été loué. Et du même coup de trouver le domicile du tueur.

"Je suis sidérée par les accusations sur notre travail"

La sous-direction antiterroriste vous a demandé, le 20 juillet "l'effacement complet des enregistrements de vidéosurveillance" sur la promenade pour cette nuit du 14 juillet afin d'éviter les fuites. Ce à quoi s'oppose la Ville de Nice…

Le lendemain des attentats, le cabinet du ministre de l'Intérieur a envoyé un commissaire au CSU qui m'a mise en ligne avec la Place Beauvau. J'ai alors eu affaire à une personne pressée qui m'a demandé un compte rendu signalant les points de présence de la police municipale, les barrières, et de bien préciser que l'on voyait aussi la police nationale sur deux points dans le dispositif de sécurité. Je lui ai répondu que je n'écrirais que ce que j'avais vu. Or la police nationale était peut-être là, mais elle ne m'est pas apparue sur les vidéos. Cette personne m'a alors demandé d'envoyer par e-mail une version modifiable du rapport, pour "ne pas tout retaper". J'ai été harcelée pendant une heure, on m'a ordonné de taper des positions spécifiques de la police nationale que je n'ai pas vues à l'écran. À tel point que j'ai dû physiquement renvoyer du CSU l'émissaire du ministère! J'ai finalement envoyé par e-mail une version PDF non modifiable et une autre modifiable. Puis, quelques jours plus tard, la sous-direction antiterroriste m'a demandé d'effacer les bandes des six caméras que j'ai mentionnées dans mon rapport, celles qui ont filmé la tuerie. On nous a demandé, pour les besoins de l'enquête, d'extraire huit jours de bande sur 180 caméras. Et maintenant il faudrait en effacer certaines pour empêcher leur diffusion au public… Le CSU existe pourtant depuis six ans et il n'y a jamais eu la moindre fuite d'images de notre part.

La polémique sur les effectifs des polices municipale (42 agents) et nationale (39 agents) sur le dispositif de sécurité est-elle justifiée?

De l'extérieur, on pourrait penser à une guerre des polices. Mais ce n'est pas vrai, nous collaborons très bien. Tous les agents sur le terrain ce soir-là, quels qu'ils soient, ne comprennent pas la réaction de l'État. L'ennemi, c'est le terroriste. C'est tout. 

Bernard Cazeneuve porte plainte pour diffamation contre Sandra Bertin :




Le démenti de François Molins

Ainsi, le garde des Sceaux assure qu'au nom du respect du droit, un responsable du ministère de l'Intérieur n'a pu intervenir dans la procédure, contrairement à ce qu'indique Sandra Bertin dans nos colonnes. "Le lendemain des attentats, le cabinet du ministre de l'Intérieur a envoyé un commissaire au CSU (centre de supervision urbain) qui m'a mise en ligne avec la Place Beauvau", raconte ainsi la policière dans le JDD.
Dans une déclaration à l'AFP, François Molins, le procureur de la République de Paris en charge de l'enquête, a contredit cette version : "C'est sous ma seule autorité et pour les besoins de l'enquête en cours que le 15 juillet, deux brigadiers chefs ont été envoyés au CSU de Nice." Et d'insister que, "jusqu'à l'ouverture de l'information judiciaire" jeudi, "l'enquête a été conduite exclusivement par le parquet".





Commentaires

  1. Anonyme25.7.16

    estrosi "petit zizi", contre casenave "cave-naze" la guerre entre la droite et la gauche

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