Derrière le rachat de Visa, la démission des pays européens


C’est une nouvelle malheureusement largement passée inaperçue : les banques européennes qui avaient le contrôle de Visa Europe, ont décidé de la vendre à la société étasunienne, Visa Inc. Une évolution qui en dit long sur l’évolution du secteur bancaire, mais aussi sur le recul du service public.

Une Europe satellite de Washington

Bien sûr, Visa Europe n’a pas toujours été indépendant puisque Visa avait donné son indépendance à son ex-filiale en 2007, en en faisant une association détenue par un ensemble d’environ 3000 établissements financiers continentaux. Mais, lors de cette opération, avait été mis en place un dispositif contraignant Visa à racheter son ancienne filiale. C’est ainsi que les deux entreprises se sont mises d’accord pour un rachat de 21,2 milliards d’euros. Naturellement, Visa met en avant les économies d’échelle que devrait permettre ce retour dans le giron commun. Et pour les banques européennes, cela représente une manne intéressante, à un moment où les taux d’intérêt sont très bas, la concurrence forte et où la « justice » étasunienne rackette les établissements bancaires, comme le Crédit Agricole.

Comme le souligne bien Bertrand Chokrane sur le FigaroVox, cela pose un grave problème d’indépendance. En effet, les Etats-Unis mettent la main sur le co-leader des systèmes de paiement européens, plaçant notre continent sous une dépendance accrue à l’égard des Etats-Unis. Et cela pose d’autant plus problème à date, avec toutes les questions que cela soulève sur la question de la gestion des données privées, notamment de la part d’une justice étasunienne qui prend n’importe quel prétexte pour étendre sa jurisdiction sur toute la planète, comme même The Economist l’avait dit en parlant de « racket  » pour BNP Paribas. Aujourd’hui, cet accord risque de mettre l’ensemble des transactions faites avec une carte Visa dans les pays européens sous la coupe juridique bien tentaculaire des Etats-Unis.

Vers la fin du service public de la monnaie ?

Mais cet accord pose également des questions sur le devenir de la monnaie, alors que les Etats semblent vouloir mettre fin, ou au moins marginaliser le liquide et les chèques, réduisant alors la monnaie à sa forme électronique. Cela montre aussi l’erreur stratégique des banques européennes, qui privilégient une rentrée d’argent occasionnelle au contrôle de leur destin sur le premier moyen de paiement ! Si cela a sans doute à voir avec les difficultés du secteur, difficile de ne pas aussi y voir les conséquences du caractère bien trop courtermiste de ce capitalisme actionnarial. En outre, ce sont les Etats-Unis qui récupèreront les mannes de ces « deux entreprises très lucratives  », selon les mots du président de Visa Europe. Ne d’agit-il pas d’un transfert d’une rente privée, au détriment de l’intérêt collectif ?

En outre, ce laisser-faire est particulièrement inquiétant alors que des révolutions couvent sur la monnaie. Déjà, Bitcoin représente une remise en cause du monopole monétaire, largement abandonné par les Etats à des banques centrales « indépendantes », et de facto aux banques privées, puisqu’elles créent aujourd’hui l’essentiel de la monnaie. Mais le laisser-faire des Etats donne sans doute des ailes à de nombreux acteurs qui convoitent sans doute la gestion de la monnaie comme Apple, Facebook, Google ou Amazon, comme le note si bien Bertrand Chokrane. Cela peut donner l’impression que nous nous dirigeons vers un retour aux errements de la banque libre étasunienne du 19ème siècle, où chaque banque privée pouvait alors émettre sa propre monnaie, sans le moindre système monétaire central.


Il y a donc de nombreuses raisons pour lesquels ce rachat de Visa Europe par son ancienne maison mère Visa Inc. est inquiétant. Entre une perte d’indépendance vis-à-vis d’un partenaire envahissant, une perte de contrôle de données fondamentales et une évolution préoccupante de la monnaie.

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