« TRÈS CHERS DÉPUTÉS » : RETOUR SUR « PIÈCES À CONVICTION » (FRANCE 3) DU 9 SEPTEMBRE



Après le Sénat en janvier dernier, le magazine mensuel d'investigation s'est penché sur l'Assemblée nationale.

Lors de leur enquête au Sénat en janvier dernier (« Très chers sénateurs »), les journalistes de France 3 s’étaient vu reprocher de ne pointer que les gabegies de la Chambre haute et non celles de l’Assemblée nationale. Ce manque a été comblé par le dernier numéro de « Pièces à conviction », « Très chers députés ».



L’enquête commence « en douceur » avec la rémunération des fonctionnaires de l’Assemblée nationale (8000 euros net par mois en moyenne, dont 20% d’heures supplémentaires et 35% de primes).

Mais le fond du propos concerne évidemment les députés eux-mêmes. Leur rémunération est donnée dans le détail, assortie de leurs avantages et privilèges : 5300 euros net d’indemnité de base, 5700 euros d’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), soit 11 000 euros net par mois, cinq abonnements téléphoniques, des voyages illimités en première classe en train, 40 allers-retours vers leur circonscription en avion, un crédit informatique, et une enveloppe de 9500 euros pour rémunérer leurs assistants. France 3 n’évoque pas, en revanche, les députés qui embauchent leurs proches comme assistants (citons notamment Georges Ginesta, député-maire de Saint-Raphaël dans le Var, qui salarie… son épouse).

France 3 évoque aussi les rémunérations complémentaires des questeurs (4864€/mois), présidents de commission (866€/mois), membres du Bureau (681€/mois), vice-présidents (1022€/mois), et du président de l’Assemblée nationale lui-même (7000€/mois), qui s’ajoutent à leurs quelque 11 000 euros de rémunération.

Pour voir l’extrait qui dresse l’inventaire de ces rémunérations et avantages, vous pouvez cliquer sur l’image ci-dessous :

Qu’en est-il ailleurs en Europe ? En comparant les rémunérations des députés français avec celles de leurs homologues étrangers, France 3 s’est aperçue que les Français remportaient une triste distinction de vice-champions d’Europe des députés les mieux payés, derrière… les Grecs ! (cliquez ici pour afficher le podium)

Par la suite, quatre thèmes sont abordés : l’absentéisme, l’enrichissement personnel, les frais de mandat et le lobbying qui tourne parfois à la corruption.

***

1. L’absentéisme
Le député UDI de la Marne, Charles de Courson, suivi durant toute l’enquête, déclare que l’Assemblée nationale fonctionnerait de la même façon avec 150 députés (ce qui rejoint l’une de nos 10 propositions de réforme), et dénonce les députés qui viennent juste pointer en commission. Ceux qui ne viennent pas du tout n’écopent que d’une retenue de 25% sur leur indemnité de base, et le premier questeur (Bernard Roman) interviewé est très évasif sur l’effectivité des sanctions.

***

2. L’enrichissement personnel
Il est question d’un scandale qui a beaucoup fait de bruit depuis un an : l’achat par plusieurs dizaines de députés de leur permanence parlementaire avec leur IRFM. Le député de Loire-Atlantique Christophe Priou (Les Républicains) a reconnu être devenu propriétaire de sa permanence parlementaire de cette façon, en bénéficiant au passage d’un prêt à taux réduit de l’Assemblée nationale, la différence étant payée par le contribuable. Puis il a empoché une juteuse plus-value à la revente. Sa seule justification, comme il l’explique dans l’extrait que vous pouvez regarder ci-dessous : « c’était permis » (sic).

Notons que Contribuables Associés a obtenu une première victoire avec la mesure du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, visant à empêcher l’acquisition d’une permanence parlementaire grâce à l’IRFM. Interviewé, Bartolone assure qu’elle sera appliquée. Charles de Courson rétorque toutefois qu’aucun contrôle effectif n’est prévu par l’Assemblée nationale, ce que reconnaît d’ailleurs son déontologue. Le combat n’est donc pas terminé.

***

3. Les frais de mandat
Direction Londres, avec le nouveau système de frais de mandat du Parlement britannique. En 2009, à la suite des révélations du Telegraph sur l’utilisation des enveloppes de frais à des fins personnelles, 150 parlementaires ont démissionné, 15 ont été poursuivis et plusieurs sont allés en prison.

Un système beaucoup plus rigoureux existe à présent : les parlementaires britanniques doivent avancer sur leur argent personnel (rappelons qu’ils sont moins payés que leurs homologues français) leurs frais, puis doivent produire des justificatifs très précis pour se les voir rembourser.

Lorsque nous avions fait cette proposition, en 2010, Richard Mallié, qui était alors député des Bouches-du-Rhône, avait argué que le contrôle des frais de mandat serait trop complexe et trop onéreux, alors qu’il existe dans toutes les entreprises privées. Dans l’extrait que vous pouvez regarder ci-dessous, on voit qu’il n’en est rien : le service ne représente qu’1% du budget du Parlement britannique, pour 50 fonctionnaires à plein temps.

Et le contrôle est très rigoureux, comme on le voit avec le rejet du remboursement d’une boisson alcoolisée dans un bar, ou la validation sur preuve de l’achat de cartouches d’encre par l’ancien Premier ministre Gordon Brown, aujourd’hui député à la Chambre des Communes :

4. Le lobbying et la corruption
La partie la plus polémique de l’émission concerne sans doute le lobbying d’intérêts privés, qui tourne parfois à la corruption des députés.
Le cas de Thierry Solère, député de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) est évoqué. Solère est rémunéré 12000 euros brut par mois par l’entreprise Chimirec, un groupe spécialisé dans la collecte et le traitement des déchets.

France 3 s’interroge sur le conflit d’intérêts qui existe entre cette rémunération et le fait que Solère siège à la Commission du développement durable à l’Assemblée nationale, au sein de laquelle il a cosigné un amendement qui bénéficierait de fait à Chimirec.

Il est en tout cas manifeste, d’après le reportage, que l’emploi de Solère à Chimirec est hautement suspect : personne ne le connaît au site de Seine-Saint-Denis où il est censé travailler, et la direction centrale met 24 heures à rappeler les journalistes en constatant qu’« il existe en effet un contrat de travail » (sic).

Alors, pourquoi cet emploi aurait-il échu à Solère, sinon pour sa position avantageuse de député ? France 3 lui pose la question, et sa réponse n’est guère convaincante, comme vous pouvez le voir dans l’extrait ci-dessous. Solère argue en effet de ce que siégeant (quand il siège) dans l’opposition, ses amendements ne sont pas retenus.

Bizarrement, Solère est quand même l’un des députés les moins actifs selon NosDeputes.fr, avec par exemple 0 intervention en commission en un an.

France 3 ne s’interroge pas, en revanche, sur le fait que le temps que des députés qui, contrairement à Solère, travailleraient effectivement à côté de leur mandat, ne serait pas consacré à ce dernier. En étant rémunérés 11 000 euros net par mois, et ce par les contribuables, la moindre des choses que ceux-ci peuvent exiger de leurs députés, c’est qu’ils se consacrent à plein temps à leur mandat.

Enfin, retour plateau avec deux invités : Charles de Courson à nouveau, et Séverine Tessier, fondatrice d’Anticor et elle-même ancienne assistante parlementaire. Elle fait justement remarquer que la grasse rémunération des députés ne les préserve pas de la corruption. Une précision importante, car c’est un peu la tarte à la crème de l’étudiant en première année de sciences politiques. Dès qu’il s’étonne que les parlementaires soient aussi excessivement payés, on lui rétorque que c’est pour les prémunir de la corruption. L’enquête de France 3 démontre que non.



Très chers sénateurs - Pièces à conviction - 28/01/2015





Commentaires

Enregistrer un commentaire