DE LA FOURCHE À LA FOURCHETTE, ILS RÉINVENTENT LE BIO


Vivre en vert n’est ni ringard ni austère. Saveurs gourmandes, mode et beauté, architecture et mobilité : la France bouillonne d’idées. Cet été, nous explorons les pistes les plus prometteuses. Premier épisode auprès de pionniers qui respectent la nature et mettent les papilles en fête.

Sous le prunier poussent des mûres, sous le maïs, des laitues rebondies. Et au milieu coule une rivière, qui alimentait autrefois l’abbaye de Notre-Dame du Bec. Sans doute le pape François, auteur d’une retentissante encyclique sur l’environnement, se réjouirait-il d’arpenter ce petit paradis, aussi terrestre soit-il. « Mais dans cette carte postale de la Normandie d’antan, nous sommes tournés vers l’avenir », dit Charles Hervé-Gruyer. Son épouse, Perrine, et lui ont créé la Ferme du Bec-Hellouin, dans l’Eure, il y a neuf ans. Belle, bio et, surtout, hyperperformante, elle passionne les chercheurs.






Le couple pratique la permaculture, qui a le vent en poupe dans le monde entier. « Il s’agit d’ensembles durables pour l’environnement, économiquement viables et socialement équitables, explique Perrine. Ici, on observe les écosystèmes pour les imiter et augmenter leur productivité. » Ni engrais, ni pesticides, ni engins motorisés, sauf pour des livraisons locales. « Mais pas question de revenir à l’agriculture de grand-papa, dit Charles. Nous avons le râteau dans une main, l’ordinateur dans l’autre. » Chaque soir, Perrine scrute aussi bien les expériences américaines les plus pointues que les pratiques des anciens maraîchers parisiens, qui obtenaient huit rotations de cultures par an – dont des melons en mars. L’Institut national de la recherche agronomique (Inra) vient de boucler une étude sur Le Bec-Hellouin. Sidérant : sur 670 mètres carrés, une seule personne peut générer un revenu net annuel de 42 000 euros, tout en se nourrissant des invendus.


Pierre Rabhi a ressuscité sa terre ardéchoise, autrefois aride. Ce paysan poète plaide pour un mode de vie plus apaisé et plus heureux.

« Mieux que le maraîchage classique en bio sur 1 hectare avec un tracteur », dit Charles. La méthode coche une liste impressionnante de solutions. La densité de couverture végétale et le peu de pétrole luttent contre le changement climatique. La petite taille des parcelles permet de multiplier les emplois, y compris dans les villes. L’absence de pesticides – cancérogènes – protège notre santé. D’autant que les denrées, plus denses en nutriments, inversent l’effet « calories vides » : les pommes, par exemple, sont devenues cent fois moins riches en vitamine C que dans les années 1950. Enfin, les produits se révèlent plus savoureux.

LA FERME DU BEC-HELLOUIN PASSIONNE LES CHERCHEURS

Parmi les clients du Bec-Hellouin, Pierre Caillet, Meilleur Ouvrier de France et couronné, à 30 ans, d’une étoile au Michelin. A Valmont (Seine-Maritime), dans son restaurant Le Bec au Cauchois, il déploie sa créativité autour de produits 100 % locaux. Dont des cueillettes potagères ou sauvages : l’huître végétale, l’épiaire des bois… Sa cuisine se révèle tout en délicates surprises. Comme son « cubisme de foie gras aux herbes, crème glacée à l’oxalis et espuma », d’une infinie légèreté, où se déploie la fraîcheur parfumée d’un jardin à l’aube. Du grand art et des prix maîtrisés, par conviction (menus à partir de 35 euros). Pierre Caillet accompagne aussi la création du plus grand potager urbain d’Europe, le Champ des possibles, à Rouen. Ces initiatives se développent de Brooklyn à Sydney. En France, les fermes comme Le Bec-Hellouin se multiplient, ainsi que les formations en permaculture. Formés à l’Université populaire de permaculture (UPP), les Hervé-Gruyer accueillent 500 stagiaires par an. « Je suis frappé par le nombre de gens prêts à abandonner des postes en or pour cette activité », dit Charles. De quoi illustrer les propos de Pierre Rabhi, merveilleux paysan philosophe de 77 ans : « Notre société fait des prodiges technologiques, mais au service d’une hyperconsommation sans réjouissance. »

Au Bec-Hellouin, feurs et légumes s’enrichissent mutuellement. Certains s’intègrent aux sublimes recettes du Bec au Cauchois, un restaurant étoilé sur la route de Fécamp.

L’imitation de la nature, ce sage la pratique depuis les années 1960 au sud de l’Ardèche. Il a aussi fondé l’association Colibris, un réseau d’initiatives porteuses d’espoir. « Au début, dit-il, le sol de ma propriété était si pauvre qu’en y semant une grosse pomme de terre je récoltais une bille, et je regrettais de ne pas avoir mangé la semence ! » Aujourd’hui poussent une profusion de légumes sous les amandiers et pêchers qu’il a plantés. A lire pour retrouver le sourire : son livre « Vers la sobriété heureuse », aux ventes stratosphériques. « Sans doute parce que je préconise ce que j’ai appliqué, dit-il. Je me sens intégré à la majesté de la vie. Sur le cadran de l’histoire de la Terre, nous ne sommes présents que depuis une ou deux minutes. Sommes-nous venus pour tout casser ? N’oublions pas que c’est nous qui avons besoin de la nature, pas l’inverse. »

Comme ce pionnier, Charles et Perrine soulignent la fausse rationalité de l’agriculture actuelle, « fondée sur des énergies fossiles limitées et qui détruit les terres arables. Elle se contente de nourrir la plante, les derniers avatars de cette méthode étant la culture hors-sol et les OGM. » Le moyen de faire autrement ? En reprenant les choses par la racine. Ou plutôt le sol. Tout sauf une sorte d’éponge inerte, c’est le milieu le plus vivant de la planète : « 80 % de la biomasse », précise Claude Bourguignon, ingénieur agronome et docteur en microbiologie des sols, avec son épouse, Lydia, elle aussi scientifique. Au sein de leur laboratoire LAMS, en Côte-d’Or, ce couple analyse la composition des sols depuis 1990. Parmi leurs clients, des viticulteurs haut de gamme, comme les champagnes Jacques Selosse, mais aussi un céréalier, Philippe Fourmet, à la tête de 380 hectares près de Verdun. Chaque poignée de terre contient des milliards de travailleurs indispensables. Elle fourmille en effet de vers de terre, qui aèrent le sol, et d’organismes microscopiques. Ces derniers fabriquent l’humus et amènent les nutriments aux plantes. Qui le leur rendent bien. Or on massacre cette fabuleuse usine naturelle : labour profond, exposition à l’air libre, pesticides, passage de lourds tracteurs… « Et comme le sol est mort, dit Lydia, on le dope artificiellement avec des engrais. »

 CHAQUE POIGNÉE DE TERRE CONTIENT DES MILLIARDS DE TRAVAILLEURS INDISPENSABLES

Parmi les méthodes recommandées par les Bourguignon, le semis direct sous couvert : « Juste après la moisson, on sème six espèces végétales. Plus tard, on les écrase doucement tout en semant la nouvelle céréale. Dans l’entre-temps, elles auront capté du carbone. Après, leur décomposition nourrit le sol. » Voilà pour les grandes surfaces. Au Bec-Hellouin, on mêle diverses cultures « amies ». Sur 80 centimètres de largeur, on peut ainsi faire pousser 24 rangées de carottes et de radis ainsi que des épis de maïs qui servent de tuteur aux petits pois. Les interstices sont paillés pour éviter, entre autres, l’évaporation. Rien ne se perd, tout se transforme et remplit plusieurs fonctions, comme les poules, qui gobent allegro limaces et déchets. De plus, en mélangeant les plantes, on éloigne les ravageurs qui se repèrent à l’odeur : une monoculture leur indique le chemin, tandis qu’un cocktail olfactif brouille les pistes. Favoriser la résistance naturelle des plantes, c’est aussi la passion de Pascal Poot, qui obtient de stupéfants légumes dans l’Hérault. « Sur ma terre aride, dit-il, aucune pluie de mars à octobre, les orages tournent autour. En observant la résistance des mauvaises herbes, je me suis demandé si on ne dorlotait pas trop nos cultures. »

Bingo ! Pascal supprime tout traitement, y compris l’arrosage. La première année, une minorité survit, dont il recueille les graines. Dès l’année suivante, les « filles » se révèlent indifférentes aux épreuves. Chez ce cultivateur, 300 sortes de tomates s’épanouissent sans tuteur ni arrosage. Il souligne l’importance de favoriser la diversité des variétés : « Si on sélectionne les semences pour que tous les concombres aient la même forme, on élimine au passage une profusion de qualités utiles. C’est comme un chien de race, il passe sa vie chez le vétérinaire. La biodiversité est vitale pour résister, entre autres, aux aléas climatiques. » Les chercheurs s’intéressent à ses semences, qu’il vend sur son site Internet (lepotagerdesante.com). La vente en direct permet aux petits producteurs de s’en sortir fnancièrement tout en pratiquant des prix accessibles. Comme les Krempp, éleveurs de vaches à viande bio, qui plantent chaque semaine leur étal au marché des producteurs de Dole (Jura) et fournissent des collèges.

« Je ne me suis jamais senti aussi libre », dit Vincent, ex-carrossier dans l’aéronautique, et qui fait même swinguer le nom de sa ferme, O’Limousine. Avec Agathe, son épouse, il donne des noms inspirés du rock aux bêtes qui s’ébattent librement l’été. L’hiver, elles ruminent foin et céréales produites « at home ». Même la viande est longuement maturée sur place. « Je sais ce que je fais et je sais où ça va, dit Vincent. J’éprouve un bonheur un peu cow-boy quand j’observe mon troupeau. Accompagner un processus naturel, c’est aussi beau qu’intéressant. » A l’autre bout de la France, même sérénité chez Laurent Moinet, ingénieur agronome, qui a repris la ferme de son père en pays de Bray. Ça pouffait sec dans les chaumières quand il est passé au bio. Mais ses 75 vaches à lait se portent bien, merci, et jouissent de prairies plantées d’arbres par Vincent. Celui-ci vend lait et fromages faits maison au réseau Biocoop, dont les 350 magasins favorisent produits locaux et prix serrés. Ses bêtes ne sont pas non plus de simples numéros. Les plus attachantes n’iront jamais à l’abattoir mais mourront de leur belle mort parmi les fleurs.

http://www.fermedubec.com/

Source : http://www.parismatch.com


Commentaires

  1. Anonyme20.9.15

    Magnifique photo en début d'article.
    Et le reportage sur la ferme nous rappelle la campagne que nous avons connu autrefois, la simplicité, beaucoup de travail, mais aussi de la joie et du partage.
    Bref, un ode à la vie et à la nature !
    Merci.

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