[Syrie] Alep, un curé raconte la bataille dans la ville martyre symbole de la « guerre artificielle »


Pour ceux qui n’ont pas encore compris que la guerre en Syrie (comme en Irak, en Libye, en Ukraine) est une guerre importée, une guerre d’origine étrangère – et non une « guerre civile » qui serait motivée par un besoin impérieux de « démocratie »… OD

ROME – Le père Rodrigo Miranda, quarante ans, est un missionnaire chilien de l’Institut de la Parole incarnée qui a passé ces quatre dernières années en Syrie, dans l’enfer d’Alep. Curé à la Cathédrale de l’Enfant Jésus, il est venu en aide depuis 2011 à la population, en particulier durant les 3 ans de siège que la ville a connus, au milieu des violences, des morts et des enlèvements. Il est de retour à Rome depuis quelques mois, et c’est là que nous l’avons rencontré pour entendre son témoignage. C’est le récit d’un témoin direct de la bataille d’Alep qui a commencé en 2012, et qui, plus que toutes les autres, résume bien la tragédie vécue par la population, par ceux qui habitaient la cité autrefois la plus riche et la plus peuplée de Syrie, et qui d’un coup s’est retrouvée au coeur d’un conflit d’une extrême violence entre les rebelles et l’armée d’Assad ; un conflit qui a coûté la vie à des milliers de civils…

Une guerre artificielle
« Avec sa mosaïque de cultures et de religions, Alep a toujours été une ville symbole de la bonne cohabitation entre chrétiens et musulmans, » nous raconte Père Rodrigo, « la guerre est arrivée à l’improviste, et a frappé des personnes qui ne se seraient jamais attendues à une telle réaction face à un conflit qui a tout d’artificiel. » Cette dernière phrase nous intrigue un peu. « La population syrienne, nous explique-t-il, n’a jamais demandé un changement, ni politique ni culturel. Jamais. Ils étaient bien comme ils étaient. Je ne veux pas faire les louanges d’Assad, mais ce que je veux dire, c’est que le conflit a été le fruit d’un processus aussi rapide que violent. Parmi les combattants, seuls 2% sont syriens, les autres sont tous des étrangers, de 83 nationalités différentes. »

Les persécutions contre les chrétiens
Avant la guerre, les chrétiens d’Alep étaient au nombre d’environ 300 000. Des 4000 fidèles qui fréquentaient la paroisse de Père Rodrigo, il n’en reste que 25 aujourd’hui. Tous les autres ont fui, ou bien « ils ont été tués, surtout les femmes et les jeunes. Il y a eu beaucoup d’enlèvements, » nous explique le curé. En effet, les chrétiens de Syrie ont plus que les autres été pris pour cible par des groupes islamistes radicaux. « Cela survient du fait de leur grande influence dans de nombreux secteurs de la société, et parce qu’ils ont cette capacité au dialogue, cette faculté de s’ouvrir à l’autre, de le respecter [qui les rend si vulnérables]. Quand nous entendons dire que l’EIIL avance dans le nord de l’Irak ou de la Syrie, c’est parce que ces zones sont peuplées de chrétiens, et la réponse d’un chrétien est très différente de celles des autres [confessions]. » Sur le front humanitaire, la situation n’est guère meilleure : « j’ai parlé encore hier avec mes [anciens] paroissiens : ils manquent d’eau, de lumière et d’électricité depuis 12 jours. Les promesses des Nations Unies sont restées lettre morte. »

Un niveau de violence inouï
À quelques mètres de la paroisse de Père Rodrigo se trouvait l’Université d’Alep, qui a été le théâtre d’un violent attentat le 15 janvier 2013, attentat dans lequel des centaines de jeunes étudiants ont perdu la vie. « Il était midi, l’heure de pointe, lorsque les trois missiles sont tombés. L’université était pleine de monde, et la plupart étaient dehors, » nous raconte-t-il. « Après la frappe du premier missile, j’a commencé à aider les personnes à côté de moi. Ensuite, alors que je courais vers l’université pour aller aider les autres, j’ai vu le 2e missile arriver. J’ai tenté de me réfugier entre un mur et quelques voitures. J’ai entendu un fracas, puis un long silence, et après… le désastre. Ça a été un massacre. Au début, poursuit-il, on nous a dit que les missiles avaient été tirés par l’armée d’Assad. Mais notre quartier était contrôlé par l’armée régulière. Ça voudrait dire qu’ils se seraient tirés sur eux-mêmes (?). Après, ils ont raconté que l’armée avait frappé par erreur. Mais si tu te trompes, tu le  fais une fois, pas trois. L’autre hypothèse est que ce sont les rebelles qui ont tiré, pour frapper l’armée qui contrôlait le quartier. » Mais ce dont se souvient le plus Père Rodrigo, c’est le « degré de violence exercée contre la population civile. » En écoutant son récit, il nous vient à l’esprit une question évidente, banale. N’avez-vous jamais eu peur ? Jamais, répond-il en souriant : « pendant ces secondes-là, on n’a même pas le temps d’avoir peur. On pense seulement à aider. »

Les mensonges des médias
« Ce que désire le peuple syrien par-dessus tout, c’est que dans les autres pays, on raconte ce qui se passe vraiment en Syrie. » D’après Père Rodrigo, la désinformation sur ce conflit a été tout simplement gigantesque. Nous lui demandons quel a été le plus gros mensonge. Sa réponse : « le fait de parler de ‘’régime’’, de vouloir cataloguer à tout prix comme ‘’dictateurs’’ tous ceux qui ne font pas ce que [certains pays] veulent, » nous répond-il sans hésiter. « On ne peut pas appliquer la démocratie telle que nous l’entendons, à des pays où le substrat culturel est totalement différent : il faut respecter la diversité et la culture de l’autre, c’est comme cela qu’on garantit la paix. » Autrement, le risque est « une radicalisation toujours plus forte, » qui est prête à contaminer également l’Europe, comme cela se produit sous nos yeux aujourd’hui.

Alessandra Benignetti et Roberto Di Matteo
Traduction : Christophe pour ilFattoQuotidiano.fr



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