le vin de bordeaux devient de plus en plus chinois


Depuis 2008, les investisseurs venus de Chine rachètent à tour de bras des vignobles. Et ce n’est pas fini.

Le rachat de château Lagarosse par Steve Loo Chung-keung, patron de Carlico International, un importateur spécialisé dans l'agro-alimentaire fait partie de la quinzaine de ventes de domaines français à des Chinois recensés sur la seule année 2011. 

A Saint-Emilion, personne n’a oublié la cérémonie du Ban des vendanges 2012. Ce jour-là, une très jolie jeune femme asiatique, souriante et un peu intimidée, a été intronisée dans la jurade de Saint-Emilion. Inconnue dans la région, Vicki Zhao Wei est une chanteuse et comédienne aussi riche que célèbre en Chine. "En 2011, elle a acheté le château Monlot, 7 hectares en appellation saint-émilion grand cru, puis, peu après, le château Patarabet et ses 9 hectares", révèle l’un de ses collaborateurs. La star étant retenue à Pékin par sa brillante carrière, ses vignobles sont exploités par une société spécialisée dans la gestion des châteaux rachetés par des Chinois. "Nous souhaitons hisser ces propriétés à un niveau de qualité qu’elles ne connaissaient pas encore", explique la porte-parole du château Plain-Point.

75 propriétés rachetées

Vicki n’est pas la seule à avoir jeté son dévolu sur la région bordelaise. En cinq ans, plus de 75 propriétés ont été rachetées par des investisseurs de l’empire du Milieu. Latour-Laguens a lancé le bal en 2008. Ses 30 hectares de vignes et sa magnifique bâtisse avec tourelles et donjon ont séduit la famille Cheng, qui a fait fortune dans l’immobilier (Longhai Group). "A l’époque, tout le monde parlait de ce rachat avec une inquiétude non dissimulée", se souvient Camille Chen, journaliste franco-chinoise qui vient de publier Investissements chinois en France. Mythes et Réalités (Pacifica). Les rachats se sont en effet multipliés : Richelieu, Vieux Brondeau, Chenu-Lafitte, Viaud, Laulan Ducos, Lagarosse, La Salle, Monlot, Lafon, Barateau… plus de quinze opérations en 2011. Pas moins de 25 en 2012 : Bertranon, Cugat, Grand Mouëys, Bellefont-Belcier, Bernadotte…  "Et en 2013, le compteur a affiché une trentaine de transactions", indique Camille Chen.



Cette fièvre acheteuse ne devrait pas s’essouffler, et pas seulement parce qu’il y a 8.000 domaines viticoles dans le Bordelais. Vu de Chine, ces propriétés ne sont pas très chères (de 2 à 20 millions en comptant les travaux). Elles permettent à ces groupes de s’inviter sur le marché chinois des vins de luxe, car même un bordeaux de seconde catégorie devient là-bas un nectar haut de gamme. Et si son nom rappelle de près ou de loin ceux des rares châteaux bordelais célèbres en Chine (Latour, Lafite…), c’est la culbute. Une bouteille qui aurait été vendue péniblement 3 euros en France devient un flacon précieux proposé entre 15 et 100 euros à Pékin. "Aujourd’hui, nous vendons 60% de notre production en Chine, témoigne Yang Cheng, directeur du château Grand Mouëys, racheté par le groupe Ningxiahong. Mais nous continuons à distribuer une partie en France, car c’est ici que se fabriquent la crédibilité et l’image."

Un bilan jugé positif

Après plus de cinq ans d’investissements chinois, "le bilan est très positif", se félicite Bernard Farges, président du Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux. Premièrement, "les vins de Bordeaux ont réussi une percée historique sur le marché chinois en quelques années [la Chine est devenue le premier importateur de vins de Bordeaux]". Deuxièmement, "cela a permis à plusieurs familles de vendre des propriétés qui ne trouvaient pas d’acheteurs", indique Jean-Luc Coupet, du cabinet Wine Bankers, référence dans les deals viticoles.

Prochaine étape ? "Nous avons identifié cinq groupes qui cherchent un premier grand cru et prêts à signer un chèque de 100 millions d’euros et plus", révèle Jean-Luc Coupet. Ce genre de biens, très rares et très recherchés, tombent souvent dans l’escarcelle d’acteurs locaux bien renseignés, mais qui se font parfois damer le pion par quelqu’un capable de signer un plus gros chèque.


Autre phénomène récent, certains Chinois revendent… à d’autres Chinois. Les premiers arrivés ont effectué les démarches, ont modernisé les propriétés, ont distribué les vins en Chine, ils peuvent réaliser une belle plus-value. Le groupe Haichang (énergie, transports), le plus gros propriétaire chinois avec 20 châteaux bordelais, serait ainsi en train d’en céder quatre à des compatriotes. De quoi alimenter les conversations sur ces "étrangers qui spéculent avec le vignoble". Avant qu’ils ne sortent leur carnet de chèques ! 

Source : challenges.fr

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