ROMS-Où sont passés les «50 milliards» pour les Roms ?

Où sont passés les «50 milliards» pour les Roms ?


Au village d'insertion d'Orly, le 3 août 2012. Dix-sept familles participent à ce projet de chalets en bois, financé en partie par le FSE et le Feder. (Photo Jean-Michel Sicot pour Libération.)

ENQUÊTE Selon la commissaire européenne Viviane Reding, Bruxelles met beaucoup d'argent sur la table pour aider à l'intégration des Roms, que les Etats n'utilisent pas. Qu'en est-il vraiment ?


Après plusieurs jours de fièvre politico-médiatique, l’emballement autour des Roms de France est retombé. Mais les problèmes de fond demeurent, notamment ceux de la politique d'intégration. En pleine polémique avec Manuel Valls, Viviane Reding, commissaire européenne à la Justice, avait pointé le peu d'entrain de la France à utiliser l'argent communautaire à disposition. Selon Reding, Bruxelles mettrait 50 milliards d’euros sur la table pour l’intégration des populations roms partout en Europe… pour rien. Les fonds ne seraient tout simplement pas dépensés. «Je me demande pourquoi», s’était interrogée la commissaire luxembourgeoise.

Comme souvent, les choses sont un peu plus compliquées. Les 50 milliards d’euros dont parle Viviane Reding ne sont évidemment pas tous destinés aux Roms. La somme correspond au montant annuel total des fonds structurels versés par l’Union à tous les pays membres (soit 347 milliards d’euros sur la période 2007-2013). La France en perçoit une part loin d’être négligeable, mais dont l’utilisation n’est pas optimale. Éclairage.

COMBIEN REÇOIT LA FRANCE ?
Le budget européen 2007-2013 prévoyait plus de 23 milliards d’euros pour la France sur la période, répartis sur trois programmes : le Fonds social européen (FSE), le Fonds européen de développement régional (Feder) et le Fonds de cohésion. Parmi ces fonds, seule une minorité peut effectivement financer des programmes d’aide aux Roms, au titre de l’inclusion sociale et de la lutte contre les discriminations. Le FSE a ainsi alloué 1,669 milliard d’euros entre 2007 et 2013 à cet objectif.

Comptabiliser précisément ce qui a été alloué aux Roms n’est pas aisé, la France ne pratiquant pas de statistiques ethniques. Il faut donc se contenter d’un recensement par mots-clés effectué sur le site des bénéficiaires du FSE par la commission européenne. Bilan : depuis 2007, 53 projets d’insertion dirigés vers les gens du voyage ou vivant en campements (donc pas uniquement des Roms) ont été cofinancés par le FSE, un engagement total de... 4 millions d’euros sur une enveloppe globale de 1,669 milliard. Plus inquiétant, selon la commission, uniquement 900 millions d’euros de dépenses avaient été déclarés par la France en juillet 2013. Autrement dit : il reste de la marge pour utiliser les fonds du FSE.

On peut supposer que la même faiblesse touche le Feder, qui a mobilisé 10 milliards d’euros pour la France entre 2007 et 2013. Lui aussi permet de lever des fonds pour des projets pouvant toucher les Roms, au titre - notamment - du logement pour les communautés marginalisées. Pour cet objectif, 15,8 millions d’euros ont été alloués à douze régions françaises sur la période. Ces sommes, si elles ne vont pas intégralement aux Roms, permettent néanmoins de financer des projets ambitieux, tel que le village d’insertion d’Orly, qui a reçu une subvention du Feder de 250 000 euros.

ET AILLEURS EN EUROPE ?
La sous-utilisation des fonds européens n’est pas une spécialité française. «En Roumanie, la programmation Feder 2007-2013 n’a été consommée qu’à hauteur de 10 %, et 10 % à 20 % des crédits consommés, selon les programmes, font l’objet de sanctions pour irrégularité pour un montant d’environ 800 millions d'euros, explique un rapport interministériel de mai 2013. Dans ces conditions, les programmes d’inclusion des populations Roms connaissent des difficultés de mise en oeuvre.» Mêmes faiblesses en Hongrie, où 40% des fonds sont dépensés, ou encore en Bulgarie (20%). Une précision tout de même : cet argent n’est pas perdu. Il retourne dans les caisses de Bruxelles, au titre de la règle du «dégagement d’office».

L’argent pour les Roms ne manque pourtant pas. Tous fonds mêlés, l’Union a mis sur la table 26,5 milliards d’euros au titre de l’inclusion sociale, entre 2007 et 2013. Le FSE a explicitement alloué 172 millions d’euros aux Roms, alors que le Feder prévoyait 16,8 milliards d’euros pour les infrastructures sociales.

POURQUOI ÇA NE MARCHE PAS ?
Dans un récent rapport parlementaire, les députés Karamanli (PS) et Quentin (UMP) reconnaissent que «les ressources ne manquent pas», mais qu'il existe des «problèmes de planification et de programmation ainsi que des lourdeurs administratives». Autre obstacle : «Les réticences au niveau local.» Le sénateur Michel Billout (PS), qui a mené une mission d’information sur le sujet il y a quelques mois, développe : «Les dossiers de fonds européens sont complexes et lourds à monter. Sur le projet de village d’insertion d’Orly, les services du conseil général du Val-de-Marne avaient dû mobiliser six personnes pendant six mois pour monter le dossier.»

Le nécessaire co-financement des projets par les autorités locales - au moins un quart de l’investissement doit être mis sur la table par ce biais - est une autre limite. «C’est parfois encore trop, notamment pour certaines collectivités, qui sont exsangues financièrement.» Troisième problème : «Le temps nécessaire pour que les fonds soient débloqués.» Pour Michel Billout, «certaines organisations ne peuvent se permettre d’avancer l’argent, sous peine de se mettre en faillite. En France, les associations expliquent qu’elles ne font jamais appel aux fonds européens, ça serait suicidaire».

Dans le rapport interministériel de mai dernier, plusieurs propositions sont mises sur la table. «Si les crédits européens sont peu fréquemment appelés, c’est que les décisions et les financements des opérations sont le plus souvent envisagés au niveau départemental sans relais du niveau régional. Le dispositif régional permettra de neutraliser cet écueil et d’apporter une meilleure dynamique, avec un effet d’entraînement potentiel pour les élus.» Une idée reprise et développée par Michel Billout, qui propose de relayer les actions européennes par «des appels d’offres régionaux». Marietta Karamanli, députée socialiste de la Sarthe, met aussi la pression sur Bruxelles, dont elle fustige les «exigences bureaucratiques». «Il ne suffit pas, comme le fait Viviane Reding, de décréter que l’Europe donne de l’argent. Il faut des dispositifs d’évaluation.»


Sylvain MOUILLARD

Source : liberation.fr

Commentaires