La question énergétique serait le réel fond du problème syrien.





Le quotidien libanais Al-Akhbar a publié des fuites qui proviennent d’un « géant pétrolier occidental ». La question énergétique serait le réel fond du problème syrien. Un projet qatari prévoit de construire un nouveau gazoduc pour permettre à Doha de fournir l’Europe en gaz naturel.


L’insurrection syrienne s’est fait entendre depuis la cité de Homs. C’est devenu depuis un des principaux bastions de l’Armée Syrienne Libre avec Alep. Si le foyer de ce brasier porte sur une nouvelle émancipation d’un peuple aux yeux de la communauté internationale, des intérêts géostratégiques semblent se jouer dans ce conflit.

La région de Homs est le « cœur géographique » du tracé. Le plan fait démarrer le gazoduc du Qatar, il traverse le territoire saoudien puis la Jordanie pour arriver à Homs où il se scindera en trois. À Lattaquié sur la côte syrienne, Tripoli au nord du Liban et un autre prendra la direction de la Turquie.

Se libérer de l’ogre russe

Sur le dossier du gaz, Moscou est une véritable épée de Damoclès sur l’Europe. C’est le principal fournisseur de l’UE et les tensions entre l’Ukraine et la Russie ne garantissent pas un approvisionnement fiable. En 2009,  Moscou a ainsi annoncé qu’elle interrompait le transit de son gaz à travers l’Ukraine, au motif que Kiev en prélèverait une partie pour ses propres besoins. En plein cœur de l’hiver, de Vienne à Londres, les dirigeants européens avaient tremblé. Le nouveau gazoduc qatari offre une nouvelle option à Bruxelles qui soutient le projet à l’instar de Washington, pour d’autres raisons.

Les deux grands alliés régionaux des Etats-Unis sont la Turquie et Israël. Ces deux pays ont tout à gagner dans l’implosion de la Syrie. Le gazoduc donne des avantages stratégiques considérables à la Turquie et à Israël dans l’équation du commerce gazier mondial.

Les intérêts israélo-turcs

La Turquie renforce son alliance atlantiste avec cette nouvelle carte après l’installation de batterie anti-missile Patriot et s’émancipe de ses importations russes et surtout iraniennes. De plus, en se portant garant de l’approvisionnement européen, c’est se positionner pour une adhésion à l’Union Européenne. Cerise sur le gâteau, les dividendes payés par le Qatar et Israël pour le droit de passage de leur gazoduc à destination de l’Europe.

Tel-Aviv a fait la découverte en 2009 de 25 trillions de mètres cube de gaz »off-shore ». Situé à égale distance entre les côtes chypriote et israélienne, ces gisements font partie des plus importantes découvertes d’hydrocarbure en 10 ans. Des richesses quasi incommensurables qui garantissent l’indépendance énergétique de l’état hébreu avec des perspectives d’export non négligeable. Le Liban, considéré parfois comme un satellite de Damas à travers le Hezbollah, convoite ces ressources.

Le Qatar assure ses exports, les USA redessine la carte du gaz mondial

Pour Doha, ce gazoduc apparaît comme l’unique solution pour envoyer son gaz à ses clients européens. Si le tracé ne passe pas par Homs, il faudra recourir à des méthaniers. Un moyen couteux, long et qui nécessite de sécuriser les voies maritimes.

Selon le rapport de ce même pétrolier, le Qatar prévoit d’acheter 1000 cargos pour développer sa flotte maritime de transport du gaz avec l’ambition de s’impliquer dans un projet américain beaucoup plus vaste destiné à revoir l’équation du commerce gazier mondial.

Les Etats-Unis se placent de nouveau comme un géant des hydrocarbures avec ses avancées dans l’exploitation du gaz schiste. De quoi dicter sa loi sur l’échiquier mondial. Israël, le Qatar et Washington peuvent donc mettre un terme à l’hégémonie russe.

Quand la poudrière sent le gaz

La carte des combats, qui sont extrêmement virulents à Homs et Alep, semble être une nouvelle preuve de cette explication du conflit syrien.

Si ce tracé est la motivation principale de l’anéantissement du régime syrien, d’autres facteurs doivent être pris en compte. Les combattants kurdes du PPK ont pris les armes aux cotés de Bachar Al-Assad à la frontière syro-turc. Si le gazoduc passe dans les montagnes, c’est l’occasion pour les indépendantistes de revenir au premier plan dans les médias en se livrant à des sabotages par exemple.

 Ensuite l’après Syrie sans les Al-Assad ouvre la voie à toutes les dérives confessionnelles et communautaristes, les prémices d’une vraie guerre civile cette fois. Le Liban n’est pas un pays stable, le Hezbollah pourrait tenter de contrôler le port de Tripoli, celui de Lattaquié en Syrie est situé à quelques kilomètres de la base navale russe de Tartus…

Ce gazoduc est un pari risqué mais le jeu a tout pour en valoir la chandelle pour les acteurs principaux de ce projet, Israël, les Etats-Unis et le Qatar. Les intérêts du pétrole ont déjà fait éclater l’Irak et à une moindre échelle la Libye, la Syrie est probablement sur la liste.


http://roadsmag.com/syrie-les-bombes-creusent-la-route-du-gaz21122012097986/

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La Syrie dans le chaudron des projets gaziers géants !


À la question «  Quelle est la vérité sur les ressources de nos eaux territoriales en pétrole et en gaz ? », le Président syrien Bachar Al-Assad a répondu : « C’est la vérité, que ce soit dans nos eaux territoriales ou dans notre sol. Les premières études ont fait état d’importants gisements de gaz dans nos eaux territoriales. Puis, nous avons su que d’autres gisements s’étendaient de l’Egypte, à la Palestine et sur tout le long de la côte ; ces ressources étant plus abondantes dans le nord. Certains disent que l’une des raisons de la crise syrienne est qu’il serait inacceptable qu’une telle fortune soit entre les mains d’un État opposant mais, évidemment, personne ne nous en a parlé de façon directe. C’est une analyse logique de la situation et nous ne pouvons ni la réfuter, ni la considérer comme une raison secondaire. C’est peut-être la raison principale de ce qui se passe en Syrie mais, pour le moment, elle reste du domaine de l’analyse » [1], [Ndt]. 
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Le fond de l’air de la bataille russo-américaine empeste le gaz

Désormais la force des grandes puissances ne repose pas tant sur leur armement de plus en plus sophistiqué que sur leur mainmise sur les sources d’énergie, le pétrole et puis le gaz censé devenir le combustible numéro un à partir de 2030, selon les prévisions des experts en la matière. Il se pourrait donc que le fond de l’air de la bataille russo-américaine empeste le gaz !
Ce qui nous amène à tenter de voir clair dans  l’imbroglio des conflits d’intérêts contradictoires concernant l’exploitation et le transport du gaz entre la coalition Russie-Chine-Iran-Syrie d’une part, et la coalition USA-Europe-Turquie-Arabie saoudite-Qatar d’autre part, avant de nous pencher sur leur rôle dans le traficotage et l’ébullition de la « crise syrienne ».


La dépendance européenne pour le gaz
La consommation de l’Europe en gaz liquéfié serait de 500 milliards de m3 par an provenant principalement de la Russie et du Qatar. Actuellement le Qatar assurerait environ le quart de ces besoins et il est attendu que sa dépendance au gaz russe aille crescendo d’ici 2020, renforçant ainsi les relations d’intérêts entre l’Europe et la Russie ; ce à quoi les USA et l’UE s’opposent vigoureusement.

Cinq projets gaziers cherchent à gagner le marché européen

1. Les deux premiers sont russes et reposent sur les considérables ressources de la Russie elle-même. À travers la mer Baltique, une première ligne « Nord stream » relie directement la Russie à l’Allemagne considérée stratégiquement comme un important point de départ vers le continent européen. Partant de la mer Noire, la deuxième ligne du projet « South stream » passe par la Bulgarie avant de se diriger vers la Grèce, la Hongrie, l’Autriche et le nord de l’Italie, avec une capacité d’acheminement de 60 milliards de m3 par an.

2. Le troisième est le projet américain « Nabucco » qui repose sur les ressources du Turkménistan et de l’Azerbaïdjan. Il prévoit d’acheminer le gaz de la Turquie vers l’Europe en passant via la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie, et l’Italie, avec  une capacité de transport de 31 milliards de m3 par an.Prévu pour 2014, repoussé à 2017 pour problèmes d’ordre technique, son coût est désormais estimé à 21 milliards de dollars, et la course semble gagnée d’avance par la Russie.
Ce troisième projet récupère les excédents du Turkménistan ; lequel est engagé dans un autre projet l’associant à la Chine, au Pakistan, à l’Azerbaïdjan et dont l’Iran s’est retiré au profit « du projet Iran-Iraq-Syrie ».

À savoir que la plupart des puits turkmènes sont contrôlés par des multinationales basées en Israël tel que le groupe Merhav dirigé par Yosef Maiman [3], l’un des hommes les plus influents en Israël ; et que la Turquie s’était précipitée pour réserver sa participation au projet, puisqu’elle devenait le carrefour du transit en plus de garantir la couverture de ses propres besoins. Elle a d’ores et déjà signé un contrat avec l’Azerbaïdjan pour l’achat de 6 milliards de m3 en 2017.

3. Le quatrième est donc « le projet Iran- Iraq- Syrie », les trois pays ayant signé en Juin 2011 un protocole d’accord pour l’acheminement du gaz iranien vers la Syrie en passant par l’Irak sur une ligne terrestre d’environ 1500 Kms [ 225 Kms en Iran, 500 Kms en Irak, 500 à 700 Kms en Syrie] qui traverserait ensuite la mer Méditerranée pour rejoindre la Grèce sans passer par la Turquie ! De plus, le projet faisait état de la possibilité pour l’Europe de s’approvisionner au niveau des ports syriens.
Le coût de construction de ce dernier projet est estimé à 10 milliards de dollars et doit être mis en route entre 2014 et 2016. Il est conçu pour transporter 110 millions de m3 par jour, soit environ 40 milliards de m3 par an. Les pays participant au projet ont même annoncé leurs propres besoins par jour et jusqu’en 2020 [25 à 30 millions de m3 pour l’Irak, 20 à 25 millions de m3 pour la Syrie, 7 à 5 millions de m3 pour le Liban, avec une extension de la ligne vers la Jordanie].

La part de l’Europe est estimée à 50 millions de m3 par jour, soit environ 20 milliards de m3 par an. Ce qui fait que ce projet est un concurrent sérieux du projet Nabucco, d’autant plus qu’il repose sur les énormes réserves iraniennes estimées à 16 000 milliards de m3, ce qui suffirait pour quelques siècles à venir.

4. Le cinquième est qualifié de « Projet qatari ». Selon le quotidien Al-Akhbar, il aurait reçu l’aval des USA et se propose de construire un gazoduc qui transporterait le gaz qatari jusqu’en Europe, avec la participation de la Turquie et d’Israël. Il partirait du Qatar pour justement arriver en Syrie dans la région de « Homs, Al-Qusayr » en traversant l’Arabie saoudite et la Jordanie, sans passer par l’Irak ! À partir de cette région du territoire syrien, il bifurquerait dans trois directions : le port de Lattaquié en Syrie, le port de Tripoli au Liban, et la Turquie.

La capacité de transport de ce cinquième gazoduc n’est pas clairement précisée, mais elle pourrait dépasser celle du projet Nabucco. Le projet en lui-même pourrait concurrencer la ligne « South stream » et repose là aussi sur des réserves considérables, celles du Qatar étant estimées à 13 800 milliards de m3.

Les gisements en Méditerranée et la bascule de l’équation géopolitique


Les dernières découvertes d’importants gisements de pétrole et de gaz en Méditerranée orientale [eaux territoriales concernées : Grèce, Turquie, Chypre, Syrie, Liban, Palestine, Israël, Égypte] ont radicalement changé la donne géopolitique et pourraient être à l’origine de rivalités [4] et de discordes épouvantables par leurs conséquences.

L’Institut des Études géologiques des États-Unis [USGC] parle de de 9700 milliards de m3 de réserves pour le gaz et de 3,4 milliards de barils pour le pétrole. Alors que ces chiffres sont loin d’être fiables, coups tordus et batailles juridiques pour la répartition des quotas battent leur plein entre les pays riverains.

Israël n’a pas attendu le verdict pour signer des contrats avec des sociétés américaines et européennes et commencer à exploiter les gisements Tamar et Léviathan à l’Ouest de Haïfa. Selon ses propres estimations, il devrait couvrir une grande part de ses besoins et, à son tour, exporter son excédent vers l’Occident. Des incertitudes demeurent vu le contexte actuel et les conflits d’intérêts régionaux et internationaux.

Quant au Qatar, il serait facile pour l’Iran d’empêcher le transit du gaz qatari par le Détroit d’Ormuz. C’est pourquoi, appuyé par l’Occident, le Qatar s’acharne à se libérer de cette éventualité en s’offrant « un couloir de passage terrestre » pour exporter son gaz vers l’Europe ; couloir qu’ils ont décidé de faire passer par la Syrie !

Tel est le projet béni et voulu par les dirigeants US, mais il se trouve que telle n’est pas la volonté de Damas, de Moscou et de Téhéran. Tant que les relations étroites entre ces trois capitales resteront telles qu’elles sont, ce projet n’aboutira pas.

Et le Qatar, qui jusqu’en 2011 avait investi environ 8 milliards de dollars en Syrie y compris dans le secteur du tourisme sans jamais faire pencher les dirigeants syriens en faveur de son projet gazier, a donc pris la décision de creuser le trajet de son gazoduc [5] par la force des pires violences terroristes, dévastatrices et destructrices. Là aussi… peine perdue !

Dr Fahd Andraos Saad
18/07/2013

Article original : ShamTimes


Article traduit de l’Arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca

Notes :
[1] Le Président Bachar Al-Assad : « Ce qui se passe en Syrie n’est pas une révolution »
[2] Approvisionnements énergétiques : gaz, la dépendance européenne
[3] Yosef Maiman, President, Merhav Group
[5] Syrie : Le trajet des gazoducs qataris décide des zones de combat !
[6] La guerre pour le pétrole et le gaz en Syrie
Cette carte, tirée de Sham Times, mériterait quelques explications. Nous les devons au Docteur Imad Fawzi Shueibi, [philosophe, géopoliticien et Président du Centre de documentation et d'études stratégiques à Damas], qui s’est souvent exprimé sur la situation régionale et internationale [7]. Voici la traduction de ce court extrait d’une émission de la chaîne Al-Mayaddine :
«14 gisements… Le plus important [le 1-12] se trouve dans les eaux territoriales syriennes. Qu’on ne vienne pas me dire qu’il est situé dans les eaux chypriotes, ce qui n’exclue pas des participations avec Chypre… Les rendements des gisements [4-9-10-13] qui s’étendent de la frontière libanaise jusqu’à Banias seraient équivalents à ceux du Koweït. Plus nous montons vers le nord plus les potentialités en pétrole et en gaz augmentent. C’est pourquoi j’ai dit que ce qui se trouve en Israël correspond à une faible part de ce qui se trouve au Liban et en Syrie, où les réserves sont considérables… C’est pourquoi j’ai parlé de malédiction. Ce n’est naturellement pas une bénédiction… La situation pose de nombreuses questions d’ordre géopolitique. Parmi ces questions : Est-il permis à un État de posséder tout cela ? Un seul État !? ».
[7] Syrie : La guerre pour le gaz ! Un conflit international à manifestation régionale. Par Imad Fawzi Shueibi

Le Docteur Fahd Andraos Saad est ingénieur et écrivain libanais

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