Vivre et voyager sans argent

Vivre et voyager sans argent


Raphael, pourquoi as-tu décidé de vivre sans argent? Tenais-tu simplement à faire un pied de nez au capitalisme ou avais-tu des raisons plus profondes?
Durant mon périple sans argent entre la Hollande et Mexico, j’ai constaté que l’argent corrompait les relations humaines. De nos jours, l’argent est omniprésent: il est la cause de nos tourments, de nos angoisses, il inhibe notre créativité et embrume nos esprits. Le fait que nous en ayons un minimum ou beaucoup importe peu. C’est la relation avec notre for intérieur, notre cœur, les autres et la nature qui est freinée, atrophiée jusqu’à disparaître souvent sous le joug du système monétaire. Si nous n’avions pas la conviction de sa valeur et de l’importance qu’il revêt, l’argent ne vaudrait rien. En refusant le consumérisme, nous essayons de démontrer que nous vivons dans une société de surabondance perverse et que nous devons mettre un terme à la destruction de notre planète et aux souffrances des autres citoyens de ce monde pour des raisons éthiques, écologiques et sociales. Au lieu de construire une économie bâtie sur la concurrence, nous tentons de mettre en place le fondement d’une société basée sur la coexistence et la paix.


Cela fait donc trois ans que vous vivez sans argent. Comment faites-vous concrètement?
Oui, nous nous sommes mis en route à trois pour rejoindre Mexico il y a presque trois ans. En janvier 2010, une nouvelle expérience a débuté, en autostop et sans argent, entre l’Europe et Mexico, par monts et par vaux, sur la terre ferme et sur la mer. Il y a près d’un an, notre fille adorée, Alma Lucia, à vu le jour à Berlin, où nous vivions au sous-sol, chez des amis. Durant plus de dix mois, j’ai fait des tournées nocturnes, récupérant des aliments trois à quatre fois par semaines: cela consistait à repêcher tous les aliments encore comestibles et tous les objets encore utilisables des poubelles des supermarchés. Nous récupérions par exemple des vêtements, des meubles et des langes en tissu usagés. En effet, la plupart des objets dont nous avons besoin ou pensons avoir besoin existent déjà et il suffit de les partager, de les prêter, de les réparer, de les échanger et de les utiliser en commun. Le «Friedenszentrum Martin Niemöller»1 en est un très bon exemple: cette magnifique demeure est utilisée par des centaines voire des milliers de personnes, et ce au bénéfice de tous. Nous avons la chance de pouvoir y vivre depuis plusieurs mois avec Renate et Angelika.
Nous nous déplaçons presque exclusivement en vélo. Notre adorable petite nous accompagne, bien installée dans une remorque. Lorsque je me déplace sur de plus longues distances pour des conférences, des exposés et des conférences de presse, je fais de l’autostop. J’exploite ainsi l’un des 3,7 sièges qui restent en moyenne vides lorsque les quelque 43 millions de voitures autorisées à circuler en Allemagne prennent la route. Mon but n’est pas de créer une société basée sur le troc, mais plutôt une communauté fonctionnant en harmonie et dont les membres font partie à parts égales et contribuent au bien-être des uns et des autres par leurs talents et leurs dons particuliers.
En guise de loyer, nous nous occupons du jardin, du potager et maintenons l’ordre à l’intérieur et autour de la Martin Niemöller Haus. Nous organisons des camps de travail et des manifestations, nous nous chargeons de tâches administratives, faisons des travaux de rénovation ici ou là, partout où le besoin s'en fait sentir. Ensemble, nous donnons des interviews et réalisons des reportages pour la radio, la presse et la télévision. Pour ma part, outre la rédaction d’articles et d’un livre, je donne des conférences dans les écoles, les universités et durant des congrès.

Ta famille et toi êtes véganes. Vous récupérez la majeure partie des aliments dont vous avez besoin dans des poubelles. Cela a donné lieu à une belle coopération avec la Bio Company, un magasin bio de Berlin. Pourrais-tu nous en dire plus à ce sujet?
Cette collaboration représente un jalon sur la voie d’une société sans gaspillage alimentaire. Une bataille de gagnée! La Bio Company a répondu favorablement à une demande de notre part. Après un entretien très constructif, nous avons établi une collaboration fructueuse depuis le mois d’avril. Georg Kaiser, le directeur, a toujours eu à cœur de s'associer à notre projet. Notre collaboration fonctionne bien et les résultats obtenus sont prometteurs: au lieu des deux grosses bennes de déchets, nous en remplissons désormais à peine une. Et le tri se fait de manière plus responsable. Des amis et des sympathisants de notre mouvement se chargent d’aller récupérer les invendus dans les filiales qui génèrent encore parfois un surplus alimentaire. Soucieux d’aller au-delà, nous avons réfléchi à une solution, comme une application pour smartphone par exemple, à la fois pratique, efficace et dans l’air du temps, susceptible de mettre en relation les personnes à la recherche de nourriture avec les personnes ayant des aliments à donner. C’est alors que nous avons découvert Foodsharing.de, une plateforme qui permet à tout agriculteur, supermarché, restaurant ou particulier de partager des aliments encore bons pour la consommation. Comme cela correspondait exactement à ce que nous recherchions, nous n’avons pas tergiversé longtemps avant de contacter les personnes à l’origine de cette initiative. Le potentiel est immense: rien qu’en Europe, la moitié des aliments sont jetés chaque jour; et dans le reste du monde, un tiers des aliments subit le même sort.


Quel conseil donnerais-tu à ceux qui souhaitent vivre selon ton modèle? Est-il vraiment possible de se passer d’argent du jour au lendemain?
Notre grève de l’argent ne vise pas à inciter les gens à se passer complètement d’argent. Par notre démarche, nous entendons plutôt montrer de nouvelles possibilités pour tout un chacun de réduire du jour au lendemain son empreinte écologique. Pour ce faire, nous avons mis en ligne une série de conseils sur notre site sous la rubrique «Agissons!». Chaque individu, avec sa vocation propre, fait partie intégrante d’un tout. Ensemble, nous pouvons nous soutenir les uns les autres et nous entraider.

Le fait de vivre sans argent ne signifie-t-il pas aussi être d’une certaine façon dépendant du bon vouloir de son environnement? Cela ne te dérange-t-il pas?
Je ne trouve aucunement désagréable de voir quelqu’un partager généreusement sa voiture, son logement, ses outils, ses restes alimentaires et tout ce dont nous avons besoin pour vivre. Au contraire, j’ai la ferme conviction que les relations sociales seraient plus saines si l’argent ne s’immisçait pas toujours dans les relations humaines. Aujourd’hui, bon nombre d’entre nous ressentent de la joie lorsque des amis ou des connaissances leur demandent de l’aide, car la plupart des gens n’osent simplement plus faire le pas et se sentent mal à l’aise. Comme il existe toujours la possibilité de tout régler avec de l’argent sans entrer en interaction avec des voisins, des collègues ou des connaissances, de nombreuses personnes optent pour la voie la plus anonyme qui a rendu notre société de plus en plus individualiste au cours des dernières décennies. Les gens apportent leur aide non pas parce qu’ils se sentent mal en le faisant, mais parce qu’ils en retirent du bien-être et que cela leur met du baume au cœur. Cette humanité est profondément inscrite dans notre nature d’homo sapiens.

Sur ton site Internet, tu écris que nous devrions agir ensemble selon notre nature, c’est-à-dire avec une attention respectueuse, et faire preuve d’amour dans notre relation avec tout ce qui nous entoure. Cela signifie-t-il que tu crois que l’Homme est bon par nature?
Notre périple de Hollande à Mexico sans argent n’a été possible que grâce à l’aide de milliers de gens. Jamais on ne nous a laissé tomber. Il y avait toujours quelqu’un qui croyait en nous pour nous encourager et pour aller au-delà des bonnes paroles et nous aider concrètement! Nous avons ressenti cette humanité. Jamais auparavant, nous avions eu une relation aussi authentique, désintéressée et gratuite, avec autrui. Nous avons côtoyé la bonté qui sommeille en chaque être humain et avons expérimenté l’unicité du donner et du recevoir. Nous avons fait appel au cœur et à l’amour et les avons trouvé. Sur 32 000 km et durant 15 mois, pas une seule personne ne nous a fait du mal, ce qui nous a confortés dans l’idée que l’Homme est bon par nature et qu’il est naturellement enclin à aider, que c’est inscrit dans ses gênes. Un sentiment magnifique.


L’idéal d’une communauté vivant en pleine harmonie est-il devenu réalité pour toi?
Avec mon épouse Nieves et notre fille Alma Lucia, j’essaie de vivre autant que faire se peut dans l’harmonie et l’amour au quotidien. Nous apportons de l’aide partout où elle est nécessaire et nous nous impliquons dans la société de diverses manières. Par notre grève de l’argent, notre mode de vie végane et la conscience environnementale que nous partageons volontiers, nous mettons tout en œuvre pour réaliser le rêve d’une humanité vivant dans la paix et en communion avec la nature. Nous considérons que nous faisons partie d’un organisme complexe, la Terre. Grâce à une paix intérieure nourrie de pensées, de paroles et d’actions en harmonie les unes avec les autres, nous tentons de créer un monde dont personne ne nous a jamais dit qu’il ne valait pas quelques efforts. Mais tant que régneront la faim, la guerre, la haine et la destruction sur notre magnifique planète, il ne saurait être question d’une société communautaire harmonieuse. En tant qu’entités d’un tout, nos cœurs doivent se mettre en lien et battre pour et non contre les autres et faire preuve de compassion et d’empathie.

Source ; fdsouche

Commentaires