Des données offshore secrètes sont en mains de journalistes

Des données offshore secrètes sont en mains de journalistes

OFFSHORE LEAKS Une équipe du «Matin Dimanche» et de la «SonntagsZeitung» a eu accès à la plus grande source de données économiques confidentielles de tous les temps: plus de 2,5 millions de documents concernant des domiciliations offshore transmis à un réseau de journalistes du monde entier



Le Consortium international des journalistes d’investigation ICIJ, basé à Washington, dispose de plus de 2,5 millions de documents concernant des sociétés offshore.



Avec ses partenaires travaillant dans près de 40 pays, il présente ce jeudi les premiers résultats de l’analyse de ces données. Obtenues sous forme informatique, elles occupent 260 Gigabytes, soit un volume 160 fois plus important que les câbles diplomatiques américains publiés par Wikileaks en 2010.

Cet espace pourrait contenir un demi million de livres de la taille de la Bible ou du Coran. Les Offshore Leaks contiennent également une quantité d’informations bien supérieure à toutes les fuites de données bancaires, passées ces dernières années de Suisse vers l’Allemagne ou la France.

Il y a plus d’un an, un paquet a été envoyé anonymement par la poste à une adresse en Australie. Le disque dur qui se trouvait à l'intérieur a ensuite été transmis à l’ICIJ. 

Les millions de données qu’il contenait – des contrats et des fax numérisés, des copies de passeports, des e-mails, de la correspondance bancaire et de nombreux autres documents – sont issus de deux sociétés spécialisées dans les domiciliations offshore: Commonwealth Trust Limited, à Tortola, dans les Îles Vierges britanniques et Portcullis Trustnet. Basée à Singapour, cette dernière est active dans une douzaine de juridictions, comme les Îles Cook, les Îles Caïman ou Samoa. 

Ces juridictions offshore comptent parmi les plus opaques du monde.

Depuis plusieurs mois, plus de quatre-vingts journalistes du monde entier travaillent sur cette gigantesque masse de données. Il s’agit notamment de décortiquer les montages financiers internationaux, souvent complexes, et de mettre en contexte ces informations. 

Les pistes à suivre son innombrables, car les données concernent environ 122 000 entités (sociétés, trusts, etc.). Celles-ci sont reliées à plus de 130 000 personnes dans 140 pays. Près de 12 000 intermédiaires ont contribué à créer ces entités, le plus souvent pour le compte de leurs clients. Une partie de ces sociétés offshore et de ces trusts a clairement servi à placer des avoirs à l’abri des autorités fiscales.

Plus de 35 médias de toute la planète dévoilent dès aujourd’hui leurs investigations sur les Offshore Leaks. Parmi eux, The Wahington Post, BBC, The Guardian, Le Monde, Die Süddeutsche Zeitung ou Asahi Shimbun, ont participé à ce travail. En Suisse, trois journalistes du Matin Dimanche et de la SonntagsZeitung ont eu accès à l’ensemble de ces données depuis le mois de décembre. 

En raison du coup d’envoi mondial donné aujourd’hui à l’opération, les deux journaux présentent, ce jeudi sur Internet, les premiers résultats de leurs recherches.

300 personnes sont concernées en Suisse

De Genève à Saint-Gall, de Bâle à Lugano, les Offshore Leaks concernent environ 300 personnes et 70 sociétés (voir infographie). Parmi elles, une vingtaine de banques suisses et de nombreux intermédiaires financiers ont passé commande de milliers de sociétés offshores, destinées à abriter les comptes de leurs clients étrangers. UBS (UBSN 14.36 -1.44%) a ainsi ouvert au moins 2900 sociétés dans une douzaine de juridictions, via Portcullis Trustnet. Credit Suisse (CSGN 24.44 -2.59%) a fait de même en créant plus de 700 sociétés. 

Des e-mails internes montrent aussi comment la filiale de Credit Suisse Clariden Leu a fait pression sur Trustnet pour créer de sociétés écrans si opaques qu’elles cachaient totalement l’identité de ses clients. Selon cet accord spécial, seul le nom de la banque était connu de Trustnet, et non celui du client. «Le Saint Graal» des entités offshore, selon le chef du service juridique de Trustnet, qui avait d’abord recommandé le rejet de la demande de Clariden, avant que sa hiérarchie ne le contredise.

 Credit Suisse n’a pas voulu dire si la pratique avait toujours cours aujourd’hui, ou si elle avait cessé. La banque précise seulement que «d’une façon générale, Credit Suisse et ses filiales respectent toutes les lois en vigueur dans les pays dans lesquels ils exercent.»

Dans cette masse incroyable de documents, on trouve également de nombreux cas singuliers liés à la Suisse. Ces sociétés écrans permettent par exemple de remonter jusqu’aux comptes suisses d’un fils de ministre pakistanais; jusqu’au conseiller genevois représentant la société aux Îles Vierges britanniques d’une amie de Mère Teresa; jusqu’au directeur d’une société offshore d’un groupe international de matières premières, qui est en fait un fiduciaire suisse sous le coup d’une enquête pour blanchiment d’argent du Ministère public de la Confédération; ou encore jusqu’aux intermédiaires d’un célèbre acteur d’Hollywood ayant un compte secret à Lausanne.Le Matin Dimanche et la SonntagsZeitung dévoileront les détails de ces cas, et de plusieurs autres, dans leurs éditions du 7 et 14 avril.

Le cas Gunter Sachs

Outre des clients étrangers en délicatesse avec le fisc de leur pays, les données concernent aussi un certain nombre de contribuables suisses. L’un d’entre eux est le célèbre photographe Gunter Sachs, héritier de la dynastie von Opel, des voitures Opel. Entre le 15 septembre 1993 et le 10 avril 2007, Portcullis Trustnet aux Îles Cook a ouvert pour lui deux sociétés à responsabilité limitée Triton et Tantris Limited, ainsi que cinq trusts du nom de Parkland Oak, Moon Crystal, Espan Water, Sequoia et Triton Trust.

Selon une enquête réalisée en commun avec la Süddeutsche Zeitung, aucune de ces entités ne figure dans la déclaration fiscale de Gunter Sachs, qui était domicilié à Gstaad les trois dernières années de sa vie, de 2008 jusqu’à son suicide dans le nuit du 6 au 7 mai 2011. 

De même, plusieurs sociétés, notamment basées au Luxembourg et au Panama, ne sont pas mentionnées dans sa déclaration fiscale. Deux d’entre elles disposent de plus de 9 millions de francs de capital ainsi que des placements immobiliers en Suisse valant des millions.

La fortune de Gunter Sachs était gérée au moins en partie via une société établie à Genève, Galaxar SA. Selon des documents auxquels nous avons eu accès, Gunter Sachs avait déclaré au canton de Berne quelque 470 millions de francs de patrimoine lors des dernières années de sa vie. Des anciens employés laissent toutefois entendre que ce patrimoine était largement supérieur. 

La manière dont a été déclarée une vente d’œuvres d’art pour plus de 60 millions de francs un an après la mort du photographe est par exemple peu claire. Les 22 et 23 mai, 260 pièces issues issues de la collection privée de Gunter Sachs ont été vendues par Sotheby’s à Londres pour 41,4 millions de livres Sterling.
Malgré des affaires que des anciens employés ou des proches décrivent comme florissantes, Gunter Sachs ne payait pas d’impôt sur le revenu en Suisse. Ayant acquis la nationalité helvétique en 1976, il ne pouvait pourtant pas bénéficier d’un forfait fiscal.

Les montages juridiques et financiers de Gunter Sachs, qui passent par les Îles Cook, le Luxembourg, les Îles Vierges britanniques, les Bahamas ou Panama, ont en partie été réalisés avec les conseils de l’étude Lenz & Staehlin, basée à Genève, Lausanne et Zurich et employant plus de 150 avocats. 

L’un des partenaires, Peter Hafter, était l’interlocuteur privilégié de Gunter Sachs. «Les trusts concernés n’ont pas été mis en place pour des raisons fiscales, mais bien plus pour la planification successorale», a fait savoir l’avocat. «L’ensemble du patrimoine de Gunter Sachs au moment de sa mort a été signalé aux autorités fiscales concernées», a-t-il encore ajouté. Il assure que, si les trusts n’ont effectivement pas été annoncés aux autorités fiscales, les actifs qui s’y trouvaient l’ont été.

Source : lematin.ch

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Qui détient les comptes secrets ?


Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a constitué des sociétés offshores dans un paradis fiscal des Caraïbes.

Parallèlement à l'affaire Cahuzac, des millions de transactions effectuées dans des paradis fiscaux viennent d'être mis à jour, après quinze mois d'enquête par la presse internationale, incluant Le Monde. Un "Offshore Leaks" qui rassemble pas moins de 2,5 millions de fichiers, auxquels il faut encore ajouter les comptes de 120 000 sociétés offshores. Selon le quotidien belge Le Soir, c'est 160 fois le volume des câbles diplomatiques répertoriés par WikiLeaks. De quoi déclencher un séisme fiscal planétaire impliquant des dizaines de milliers de sociétés et de particuliers, issus de plus de 170 pays dans le monde.


 Parmi les 130 Français impliqués dans le scandale, Jean-Jacques Augier, le trésorier de campagne de François Hollande, détenteur d'actions dans deux sociétés basées aux îles Caïmans. Mais ce n'est pas la seule pointure épinglée par les 38 médias ayant eu accès à la base de données de l'International Consortium of Investigate Journalists (ICIJ).

  • Mongolie : l'ex-ministre des finances
A commencer par Bayartsogt Sangajav, ministre des finances mongol de 2008 à 2012, et vice-président du Parlement. Il est doté d'un compte secret en Suisse, et détient des parts de Legend Plus Capital Limited, une entité offshore chinoise. Au total, il a placé 1 million de dollars sans le déclarer, alors même qu'il était à la tête de la Banque asiatique de développement (BASD) réclamant plus de fonds pour le développement de l'économie mongole. Selon le Guardian, M. Sangajav pourrait démissionner.

  • Philippines : la fille du président Marcos
Ce n'est pas la seule personnalité asiatique concernée par l'Offshore Leaks. Ainsi de la Philippine Imee Marcos, fille du président Ferdinand Marcos et actuelle gouverneuse de la province Ilocos Norte. Depuis 2005, elle est conseillère en investissement financier pour la compagnie Sintrat Trust, dont elle détient des parts, qu'elle ne mentionne pas dans sa déclaration fiscale.

  • Azerbaïdjan : le chef de l'Etat et sa famille
En Azerbaïdjan, les noms du président Ilham Aliyev et ceux de sa famille apparaissent à plusieurs reprises dans quatre holdings basées dans les îles Vierges britanniques. Le président et sa femme Mehriban sont détenteurs d'une entité montée en 2003, et trois entités sont au nom de leurs filles Arzu et Leyla depuis 2008. Les holdings sont gérées par Hassan Gozal, un homme d'affaires azerbaïdjanais dont la compagnie de BTP a remporté de nombreux contrats publics à Bakou.

  • Russie : des proches de Poutine
Olga Shuvalova a également investi dans une holding basée dans les îles Vierges britanniques depuis 2007. La femme du vice-premier ministre russe Igor Shuvalov est également à l'origine de transactions avec une compagnie basée aux Bahamas, et qu'une enquête de l'hebdomadaire financier Barron's avait liées à son mari en 2011.


Denise Rich, collecteuse de fonds pour le Parti démocrate, détenait 144 millions de dollars en 2006 dans un trust aux îles Cook.

  • Etats-Unis : une collecteuse de fonds du Parti démocrate
Côté Etats-Unis, 4 000 Américains sont mentionnés dans les fichiers de l'ICIJ, dont Denise Rich. Son ex-mari, le magnat du pétrole Marc Rich avait d'ailleurs été gracié en 2001 par Bill Clinton, après avoir été condamné pour fraude fiscale. Denise Rich, collecteuse de fonds pour le Parti démocrate, a placé 144 millions de dollars en 2006 dans un trust aux îles Cook, et possède un yacht non déclaré, baptisé Lady Joy. Elle a renoncé à sa nationalité américaine en 2011 pour devenir autrichienne.

  • Canada : un avocat récidiviste
Au Canada, l'avocat et ex-politicien Tony Merchant, marié à la sénatrice Pana Merchant, a déjà eu affaire au fisc. L'enquête de l'ICIJ revient sur son compte offshore de 1998, où il a déposé 800 000 dollars. Selon le Guardian, les agents en charge du compte avaient l'interdiction de contacter Tony Merchant à ce sujet, au risque de lui "provoquer une crise cardiaque".

  • Espagne : une collectionneuse d'art
Enfin en Espagne, la baronne Carmen Thyssen-Bornemisza a détenu une compagnie entre 1996 et 2004, et en possède une autre depuis 1994 également domiciliée dans les îles Cook. Veuve du milliardaire Thyssen, elle utilisait ces holdings pour acheter des œuvres d'art aux ventes aux enchères de Christie's et Sotheby's, comme le Moulin à eau à Gennep de Van Gogh, actuellement exposé au musée Thyssen de Madrid. Son avocat a déclaré que M. Thyssen-Bornemisza a effectivement bénéficié de l'argent placé sur ces comptes, mais que ses holdings servaient principalement à pouvoir transférer des œuvres d'un pays à l'autre.

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